— Alors va prendre le volant et déhotte. Si on te demande quelque chose, tu dis qu'il s'agit d'une urgence et qu'on emmène un chef à la ville la plus proche.
— Entendu.
— Du self-contrôle surtout ! Pas de panique !
— Je ferai au mieux !
Il sort. Juste comme il descend du véhicule, Lang Fou Ré est bousculé brutalement et tombe à la renverse.
Une masse sombre bondit dans le camion. Il s'agit du bélier de Bérurier, à nouveau échappé. Son amour pour les nougats du Gravos a été le plus fort. Il a voulu rejoindre Sa Majesté.
— Cyprien ! s'écrie le Mastar, ému. T'es plus fidèle qu'un clébard, mon gamin !
— Vous gardez cet animal ? demande Lang Fou Ré.
— Oui, c'est pas la peine de se donner en attraction, démarre !
Pendant les premières minutes on a coquette en cale sèche, moi, je vous le dis.
Au cours de la manœuvre de dégagement, je m'attends qu'on nous stoppe. Mais rien ne se produit. C'est le chauffeur du camion surtout que je redoute, s'il voit filer son véhicule il va ameuter la garde, le vilain.
— Faut croire qu'il est en train de tortorer à la cantine ou de se payer une petite ronflette car il ne se manifeste pas.
Bientôt le véhicule prend de la vitesse. Lang Fou Ré est aussi soucieux que nous d'effacer les kilomètres car il champignonne à mort.
— On doit être les premiers à rouler sur cette autoroute dans ce sens-là, dis-je.
— Ça nous fait une belle quille ! grommelle le Gros.
— T'as pas l'air joyce, Béru, reproché-je. Tu pourras me dire merci au moins !
— Je t'aurais dit merci de meilleur cœur si t'aurais attendu que j'eusse bouffé pour me délivrer, j'ai les crochets, moi.
J'ouvre la porte de l'armoire serre les vêtements de travail.
— Enfile une blouse et une bâche à la taille ! Ordonné-je. Que tu aies au moins l'air d'un infirmier !
Il obéit. Comme toutes les âmes simples, il a le goût du travesti, Béru. C'est un bon client pour mardi-gras.
A peine vient-il de se toquer qu'on entend hululer des sirènes.
— Nom d'un bouddha, gronde l'Hénorme, on va être fait aux pattes !
Le système acoustique reliant la cabine du camion au bloc hospitalier retentit.
La voix calme de Lang Fou Ré s'élève.
— Deux motards de la police arrivent à notre rencontre ! avertit-il.
— De deux choses l'une, fais-je, ou bien l'alarme a été donnée et alors on n'y peut rien, ou bien ils procèdent à un simple contrôle et alors tu leur sors l'historiette convenue.
Les sirènes se taisent, le camion ralentit.
— Ils font signe de stopper ! prévient encore Lang Fou Ré.
— Tu crois qu'on les a alertés par radio ? chuchote le Gros.
Je mets ma main sur mes lèvres. D'un, geste je l'entraîne vers l'appareil radio où gît toujours le titulaire du poste. Il a repris connaissance et roule des gobilles hostiles.
Je le chope par les épaules et fais signe à Béru de le cramponner par les pinceaux.
Le mouton pousse un cri de détresse. Le connard ! Nous déposons le toubib sur la table d'auscultation.
J'entends cogner mon cœur à toute allure. Il me semble qu'un gros poing impatienté tambourine à une porte. Je saisis un flacon d'éther que j'ai repéré tout à l'heure en cherchant de l'alcool. J'en verse dans un masque de caoutchouc que j'applique sur le naze de notre patient improvisé. Il gigote un brin et s'immobilise.
— Attention, chuchote la voix de Lang Fou Ré, ils contournent le camion pour voir si ce que je leur ai dit est exact.
Donc l'alarme n'a pas été donnée et il s'agit d'une simple vérification de routine.
J'attrape deux masques de gaze et j'en jette un à Béru. Je mets l'autre…
Ça y est, on frappe !
Je fais signe au Gros de délier le toubib.
Il saisit un scalpel et coupe les liens. J'ouvre la lourde. Deux motards chinois sont là, assez terribles sous leur casque. Ils dardent sur l'intérieur du camion des yeux inquisiteurs. Ils vont me parler. Alors, d'un geste péremptoire, je leur fais signe de se taire.
Ils s'abstiennent. Enhardi, je leur fais un nouveau signe pour leur indiquer qu'ils peuvent aller se faire considérer chez les Hellènes, mais alors ils ne m'obéissent pas du tout. Au contraire, l'un d'eux entre délibérément et s'approche de la table d'opération.
Béru, sans se troubler se met à jouer les grands patrons.
Il retrousse la liquette du toubib endormi pour lui dévoiler la brioche. Il frotte la partie dénudée à l'éther. Il frotte la lame du scalpel sur sa manche afin de la débarrasser de ses impuretés. Des gouttes de sueur perlent à ses tempes. Il doit agir. Il sent que de son comportement dépendra la suite des événements. Alors il n'hésite plus et enfonce la lame du scalpel dans le bide du médecin. Le sang gicle. Il me fait un signe. Je m'empresse avec du coton. Je réitère mon geste furax au flic pour lui dire de les mettre, mais ça le passionne cette opération volante. Il se croit dans une émission de Lalou, le poulet laqué ! Il mate à pleins z'yeux. Ça l'allèche ! Il veut pas gerber, il invite d'un signe de tronche son pote à approcher.