Nous fûmes dirigés vers le service d’hygiène qui fut vraiment le bienvenu : il faut dire que le froid ne nous avait pas permis de faire des ablutions quotidiennes. Nous étions d’une saleté repoussante et couverts de vermine.
Les blessés graves furent hospitalisés – sept seulement furent reconnus tels. Pour les autres le voyage continuait. Nous ne passâmes que sept heures à Kiev.
En sortant du service sanitaire qui était remarquablement bien installé, notre groupe fut invité à prendre le garde-à-vous sur l’esplanade neigeuse qui s’étalait devant le bâtiment. Un hauptmann arriva précipitamment à bord d’un Volkswagen et, sans descendre de la voiture, se tourna vers nous et nous adressa un petit discours.
— Soldats allemands, convoyeurs. À l’heure où les conquêtes du Reich s’étendent sur un territoire immense, il tient à vous d’assurer par votre dévouement la victoire de nos armes. À vous de précipiter la cadence de ravitaillement indispensable aux troupes combattantes. L’heure est arrivée pour vous de faire votre devoir sur ce front que vous connaissez bien, qui est la route aux mille obstacles et où vous avez déjà prodigué vos efforts. Depuis nos usines, où nos ouvriers rassemblent toutes leurs forces pour forger les armes nécessaires, en passant par vos courses épuisantes vers nos héroïques combattants, il n’est permis à aucun d’entre nous d’avoir un seul moment de répit tant qu’un soldat allemand pourra souffrir du manque d’armes, de vivres ou de vêtements. La nation a mis tout en œuvre pour assurer l’indispensable aux soldats du front, leur permettant de conserver leur enthousiasme et leur confiance en notre solidarité. Nul d’entre nous n’a le droit de fléchir et de se laisser aller à un découragement passager. Aucun d’entre nous n’a le droit de douter de notre vaillance que chaque jour de nouvelles victoires confirment. Nos souffrances sont les mêmes pour tous, et notre manière de les supporter en communauté est la meilleure façon de les surmonter. N’oubliez jamais que la nation vous doit tout et qu’en retour elle attend tout de vous et cela jusqu’au sacrifice absolu. Apprenez à souffrir sans vous plaindre parce que vous êtes allemands.
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Le hauptmann se racla la gorge et reprit sur un ton moins théâtral :
— Vous formez un groupement complet, vous rejoindrez donc à la sortie de la ville sur la Rollbahn nach Kharkov les 124e et 125e groupes. Votre formation sera accompagnée par une section de combat motorisée appartenant à la Panzer-division Stülpnagel ! Celle-ci est destinée à protéger votre convoi contre les terroristes qui tenteraient de ralentir votre avance. Comme vous le constaterez, le Reich allemand met tout en œuvre pour faciliter votre tâche.
Il salua, et immédiatement l’ordonnance embraya.
Nous retrouvâmes les deux autres tronçons de notre compagnie au point indiqué afin de former la 19e Kompanie Kollbahn, Kommandant Uträner. La première idée qui me vint à l’esprit fut que j’allais fatalement retrouver mes copains de Bialystok. À moins qu’ils n’aient été mutés. Je ne savais pas s’ils étaient partis après nous ou avant nous de Minsk, mais le fait est que la 19e était reformée. Notre immense convoi possédait maintenant une roulante où l’on servait des rations chaudes…
C’était vraiment important pour nous. Avant même le départ, on nous avait servi un repas copieux qui nous avait fait un bien inouï et avait vraiment contribué à nous remonter le moral. Le froid semblait s’être stabilisé à 20° au-dessous de zéro et nous considérions cela comme une amélioration. Il est vrai que nous venions de passer à la douche et que nous avions changé de linge. Je n’eus aucune difficulté à trouver Halls que je reconnus facilement à ses gestes exubérants.
— Que dis-tu de ce temps-là, tout jeune (c’est ainsi qu’il m’appelait), et du restaurant, hein ? Il y a dix jours que je n’avais rien bouffé de chaud, on a cru crever de froid sur ce maudit train.
— Ainsi vous étiez en chemin de fer, bande de veinards !
— Bande de veinards ! tu parles, tu aurais vu quand la locomotive a sauté, cela a produit un nuage de vapeur énorme qui est monté au moins à cent mètres, il y a eu quatre types de tués et sept d’amochés. Morvan a été stupidement blessé pendant le déblaiement, cinq jours cela a duré. Moi je suis allé avec une patrouille à la chasse aux terroristes, on en a trouvé deux qui se cachaient dans un kolkhoze ; c’est un paysan qu’ils avaient dévalisé qui nous a mis sur la piste, ensuite il nous a invités chez lui et nous a offert un festin.