Читаем Le Soldat Oublié полностью

Il lança un ordre aux deux soldats qui l’accompagnaient ; ceux-ci se dirigèrent vers le malheureux étendu dans la neige. Deux détonations retentirent.

Un quart d’heure plus tard, nous étions sur le chemin du retour. Notre sous-off avait abandonné son idée de main-d’œuvre improvisée. Nous allions tâcher de retrouver notre compagnie qui ne devait pas avoir beaucoup progressé.

Je venais de recevoir mon baptême du feu. Je ne peux même pas parler de l’impression que j’en gardais, je n’arrivais pas à coordonner mes pensées, il y avait quelque chose d’absurde dans les événements de cette journée ; les empreintes du feldwebel dans la neige étaient gigantesques. Distrait je cherchais le jeune rouquin qui aurait dû être à nos côtés. Tout s’était passé si vite que je n’arrivais pas à en saisir l’importance, et pourtant deux êtres venaient de mourir bien inutilement. Le nôtre n’avait pas dix-huit ans.

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque nous rejoignîmes la compagnie, une nuit claire et froide, le thermomètre descendait vertigineusement.

Malgré notre marche forcée de quatre heures, nous étions transis et affamés. La tête me tournait, tant j’étais épuisé par la fatigue et le froid. Ma respiration givrait sur le cache-col qui me montait jusqu’aux yeux.

D’assez loin, nous avions aperçu notre convoi qui se détachait en noir sur le blanc de la neige. Il n’avait vraiment pas beaucoup avancé depuis que nous l’avions quitté. Les camions étaient là, enfoncés jusqu’au châssis dans cette croûte blanche gelée, collée par grosses plaques aux roues et aux garde-boue. Presque tous les soldats s’étaient réfugiés dans les cabines, et, après avoir grignoté quelques vivres, s’étaient entortillés dans tout ce qu’ils avaient trouvé. Exténués, ils tâchaient, malgré la température, de dormir. Plus loin, deux pauvres types désignés pour la garde frappaient leurs bottes l’une contre l’autre pour se réchauffer les pieds.

À l’intérieur des cabines, à travers les vitres complètement givrées, j’apercevais, çà et là, le rougeoiement d’une pipe ou d’une cigarette. J’enjambai le hayon de mon camion et cherchai dans l’obscurité mon sac et ma gamelle. J’avalai rapidement, en tenant mon récipient dans mes doigts gourds, quelque chose d’infect qui ressemblait à de la purée de soja, et glacé par surcroît. C’était tellement mauvais que je balançai bientôt le reste hors du camion. En compensation, je dévorai une ration conditionnée.

Dehors, quelqu’un parlait. Je me penchai pour voir. On venait d’allumer dans un trou de neige un petit feu qui brillait gaiement. Je sautai vivement à terre et rappliquai vers cette source de lumière, de chaleur et de joie. Il y avait là trois garçons dont le feldwebel de cet après-midi. Ce dernier ronchonnait tout en brisant des planchettes sur son genou gauche.

— J’en ai assez d’avoir froid ; j’ai eu une congestion, l’hiver dernier. Si cela se reproduit, ici, j’en crèverai. D’ailleurs, si nous sommes épiés, nos bagnoles se voient à deux kilomètres ; ce n’est pas ces quelques brindilles enflammées qui nous feront repérer davantage.

— Vous avez raison, rétorqua un type qui avait au moins quarante-cinq ans. Les Russes, partisans ou non, sont dans leur lit bien au chaud.

— J’aimerais bien être chez moi, dit un autre en fixant la flamme.

Nous étions tous presque dans le bûcher pour recueillir le plus de chaleur possible, sauf le grand feldwebel qui s’acharnait à réduire une caisse en morceaux.

Brusquement, on nous appela.

— Hep ! là-bas !

Une silhouette arrivait entre les camions. Dans l’ombre on distinguait sur sa casquette un motif d’argent qui brillait. Déjà le feldwebel et le vieux piétinaient le feu. Le hauptmann était maintenant sur nous. Nous nous mîmes au garde-à-vous.

— Qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes devenus fous ! Vous ne connaissez pas la consigne ? Puisque vous êtes partis pour la veillée autour du feu de camp, prenez vos armes et faites-moi une patrouille aux alentours. Votre idiotie a sans doute attiré des invités à vos réjouissances ; tâchez de les intercepter. Par patrouille de deux jusqu’au départ ! Compris ?

Il ne manquait plus que cela ! La mort dans l’âme, j’allais chercher encore une fois ce damné fusil. J’étais crevé, fourbu, frigorifié, et que sais-je encore ! Non, jamais je n’aurais la force de piétiner à nouveau dans cette neige abominable dont la surface durcie cachait trente ou quarante centimètres de poudre blanche et où mes bottes disparaissaient. J’étais plein d’une fureur à laquelle je ne pouvais donner libre cours. La fatigue m’empêchait de réagir. Tant bien que mal, je retrouvai mes compagnons d’infortune. Le feldwebel décida que le vieux de quarante-cinq ans passés et moi ferions la première patrouille.

— Nous prendrons votre relève dans deux heures, ce sera moins dur pour vous.

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