Attaque de partisans comme il fallait s’y attendre. Sans doute la même bande que celle qui a massacré le poste de ce midi. Ici heureusement on a eu le temps de réagir. Six blessés, deux morts pour le fortin – (vingt-deux hommes) –, une vingtaine de tués ou blessés ennemis jonchent la neige piétinée. Des armes, de type russe et allemand, sont demeurées sur place. Certaines aussi sont américaines. Des partisans blessés rampent, en agonisant vers la forêt. Aucun ordre ne peut retenir les hommes, et les mausers claquent, mettant un terme à leurs souffrances. Deux prisonniers hirsutes sont tombés entre nos mains. Leurs yeux farouches roulent comme ceux des loups pris dans un piège. Nos questions ne provoquent que des réponses anodines. Seules quelques paroles reviennent en leitmotiv : « Nous pas Kommunist. » Sont-ils niais ? Ne savent-ils rien ? C’est fort probable… Ils ressemblent à des bêtes entraînées à tuer. Aucune discussion n’est possible. Les landser grondent.
Le regard de Wesreidau va des partisans à ses hommes. Le capitaine cherche à en savoir plus long. Il parle, insiste… rien n’aboutit. Excédé, il lève le bras avec une indifférence affectée. Les hommes s’emparent des deux francs-tireurs et les poussent devant eux.
Les loups humains se retournent et grognent. Mais la vue des armes leur fait perdre la tête. Maintenant ils courent. Ils courent jusqu'à ce que les rafales les rattrapent et les jettent à terre.
Le fortin a été sauvé in extremis. Aux dires des hommes qui l’occupaient, quatre cents partisans au moins les attaquaient depuis deux heures. Les territoriaux nous serrent dans leurs bras. Leur joie est profonde. Ils repartent avec nous car nous leur apportons l’ordre d’évacuation. Nous sommes momentanément la balayette de la Wehrmacht.
Pour comble de malheur, un incident déplorable survient dans les dix minutes qui suivent la remise en marche du convoi. Le side-car de tête, qui précède de trente ou quarante mètres le premier char-tracteur, reprend la piste et se propulse difficilement sur la neige. Le char le suit et passe donc au même endroit. Soudain une explosion qui semble le soulever de terre déchire l’atmosphère, un long « braoum » se répercute. La neige des arbres alentour est secouée et chute avec un bruit cristallin parmi les branchages. Le char est déchenillé et crevé par le dessous. Le feu ronfle et de grosses volutes de fumée s’échappent de dessous l’engin en roulant sur le sol glacé qu’elles souillent. Précipitation, affolement dans les traîneaux qui suivent et parmi lesquels on déplore déjà des tués et blessés. Un sous-officier a sauté sur le capot du tank et essaie de dégager l’équipage commotionné et peut-être grièvement blessé. D’autres bondissent à la rescousse tandis que l’infanterie se précipite sur les bas-côtés prête à toute éventualité. Une fumée dense et noire enveloppe maintenant l’engin. Tout secours demeure vain. Trois extincteurs sont déversés sur la ferraille noircie tandis qu’à la hâte les traîneaux sont éloignés. Le feu ronfle à l’intérieur du Panzer et rien ne peut l’éteindre. Puis le réservoir, sans doute dessoudé lâche cent cinquante litres d’essence qui s’enflamment en grondant et se répandent sur la neige. Panique, repli rapide, les landser roussis cèdent le terrain au feu qui jette un noir panache vers le ciel presque aussi sombre. Officiers et soldats assistent, dans une rage impuissante, à la carbonisation des trois tankistes dont l’odeur de chair grillée se mélange ignominieusement à celle du benzol. Les deux hommes du side-car de tête sont passés quelques secondes plus tôt au même endroit. Leurs roues ont peut-être évité, à vingt centimètres près, le détonateur de la mine déposée par les partisans. Ils assistent eux aussi au drame avec une sueur froide qui coule le long de leur échine.
La colonne abandonne le char déformé par l’incendie qui fait éclater les munitions. Elle abandonne aussi trois lourds traîneaux avec une partie du matériel que l’on incendie. Ceux qui s’y trouvaient sont répartis sur les autres véhicules. On fait un détour pour éviter les bandes de mitrailleuses qui explosent. On laisse aussi deux tombes. Deux hommes tués sans avoir pu se défendre. Deux hommes qui ont derrière eux trois ans de luttes difficiles et qui ont mérité le Valhalla.
Nous cédons le terrain aux vagues rouges qui nous suivent. Ce sont les ultimes traces du passage de la dernière croisade européenne, avec tout ce que ce mot peut représenter.