— Philippe Duruy est né à Caen, en 1988. De parents inconnus.
— On n’a pas l’identité de la mère ?
— Non. Il est né sous X. Si on veut ouvrir le dossier, il va falloir mener une procédure et…
— Continue.
— Placé sous tutelle de l’Aide Sociale à l’Enfance. Il rebondit de foyers en familles d’accueil. Il s’y tient à carreau, ou à peu près. À 15 ans, il atterrit à Lille. Il commence un CAP d’agent de restauration polyvalent. Pour bosser dans les cantines. Au bout de quelques mois, il plaque tout et devient punk à chien. Des rangers, un molosse, et en route. On retrouve sa trace deux ans plus tard, au festival d’Aurillac.
— C’est quoi ?
— Un festival consacré au théâtre de rue. Il est interpellé pour détention de stupéfiants. Mineur, il est libéré.
— Quels stupéfiants ?
— Amphètes, ecsta, acide. J’ai trouvé aussi la trace d’au moins deux autres interpellations. À chaque fois dans le sillage d’un festival de rock ou d’une rave. Cambrai en avril 2008. Millau en 2009.
— Pour possession de stupéfiants ?
— Plutôt pour baston. Notre ami était du genre querelleur. Il s’est embrouillé avec les videurs.
Anaïs revoyait le corps de la victime qui comptait plus d’os que de kilos. Le môme n’avait pas froid aux yeux. Ou alors il était complètement défoncé chaque fois. Une chose était sûre : pas question de lui injecter de force quoi que ce soit. Le tueur l’avait approché en douceur.
— Et plus récemment ?
— Tout ce que j’ai, c’est une apparition en janvier dernier.
— À Bordeaux ?
— À Paris. Un autre concert. Le 24 janvier 2010 à l’Élysée-Montmartre. Duruy s’est battu, encore une fois. Il avait sur lui deux grammes de brown. Commissariat de la Goutte-d’Or. Cellule de dégrisement. Garde à vue. On l’a libéré dix-huit heures plus tard, sur ordre du juge.
— Pas de mise en examen ?
— Deux grammes, c’est de la consommation personnelle.
— Ensuite ?
— Plus rien jusqu’à la fosse de maintenance. On peut supposer qu’il est revenu ici fin janvier.
Inutile de retracer son passé de zonard par le menu. Seuls comptaient les derniers jours. L’assassin était une rencontre de dernière heure, qui n’appartenait pas au monde de la zone.
— T’as des nouvelles des autres ?
— Jaffar a passé la nuit avec les zonards.
La nouvelle lui fit chaud au cœur. Malgré ses ordres, ni Le Coz ni Jaffar n’étaient rentrés dormir.
— Qu’est-ce qu’il a trouvé ?
— Pas grand-chose. Duruy n’était pas du genre liant.
— Les foyers d’accueil ? Les soupes populaires ?
— Il y est en ce moment même.
— Et Conante ? Les bandes vidéo ?
— En plein visionnage. Pour l’instant, c’est zéro. Duruy n’apparaît sur aucune.
— Zak ?
— Pas de nouvelles. Il doit secouer les dealers au réveil. Il paraît que tu lui as demandé de prendre le relais.
Le Coz avait dit ça sur un ton fermé mais elle n’avait pas le temps de ménager les susceptibilités. Une idée la traversa.
— Appelle Jaffar. Dis-lui de creuser sur le chien.
— Quoi le chien ? On a appelé les refuges animaliers. Aucune trace du clebs. D’ailleurs, on connaît même pas sa race. À tous les coups, il est mort et enterré.
— Interrogez les bouchers. Les marchés. Les grossistes en viande. Les mecs comme Duruy ont toujours des plans pour nourrir leur bête.
Il y eut un bref silence. Le Coz parut désorienté.
— Qu’est-ce que tu cherches au juste ?
— Un témoignage. Quelqu’un qui aurait vu Duruy en compagnie d’un autre homme — celui qui lui a injecté la dope.
— Ça m’étonnerait qu’un boucher ait la réponse.
— Qu’il voie aussi du côté des fringues, enchaîna Anaïs. Duruy devait s’habiller dans les surplus ou chez Emmaüs. Je veux que tu retraces ses dernières acquisitions.
— Il devait surtout passer ses journées au tape-cul.
— Je suis d’accord. Il faut aussi trouver le lieu où il faisait la manche. Un homme, avant nous, a fait le même boulot, tu piges ? Il l’a repéré. Surveillé. Étudié. Mettez-vous dans ses pas. Vous croiserez peut-être son ombre. T’as des nouvelles photos de Duruy ?
— Ses portraits anthropométriques, ouais.
— Montrez ces clichés aux mecs que vous interrogez. Et envoie-les-moi sur mon iPhone.
— OK. Et moi ?
Anaïs le lança sur la piste des anesthésiques. Vérifier les stocks, les prescriptions d’Imalgene et de kétamine dans la région d’Aquitaine — éventuellement les casses qui se seraient produits dans les cliniques ou les unités de production. Le Coz acquiesça, sans entrain.
Avant de raccrocher, elle lui demanda aussi de téléphoner aux gendarmes de Villeneuve-de-Marsan pour voir s’ils avaient avancé de leur côté. Elle lui conseilla de prendre des gants…
Elle parvenait aux abords de Bordeaux. Elle eut une brève pensée pour le flic gominé. Le lieutenant avait une particularité : des signes extérieurs de richesse qui ne cadraient pas avec son salaire. Ce confort ne venait pas de sa famille : Le Coz était le fils d’un ingénieur à la retraite. Un jour ou l’autre, l’IGS se pencherait sur le problème. Anaïs ne se posait pas de questions : elle avait les réponses.