La métamorphose du flic datait du cambriolage d’un hôtel particulier, avenue Félix-Faure, en 2008. Le Coz n’avait pas fait le coup mais il avait mené l’enquête. Il avait interrogé plusieurs fois la propriétaire des lieux, baronne d’un certain âge qui possédait un grand cru du Médoc. Depuis cette rencontre, Le Coz portait une Rolex, conduisait une Audi TT, payait avec une Black Card « Infinite ». Il n’avait pas trouvé les voleurs. Il avait trouvé l’amour, quoi qu’en disent ses collègues. Un amour qui rimait avec un certain confort. Dans le sens inverse, cette histoire n’aurait choqué personne.
Nouveau coup de fil. Jaffar.
— Où es-tu ? demanda-t-il.
— Je rentre sur Bordeaux. T’as trouvé quelque chose ?
— J’ai trouvé Raoul.
— Qui c’est ?
— Le dernier mec à avoir parlé à Duruy avant qu’il se fasse dessouder.
Nouvelle suée sur ses tempes. Elle avait de la fièvre. Sans lâcher son volant, elle s’envoya une rasade de sirop.
— Raconte.
— Raoul est un clodo qui vit sur les quais, aux abords de Stalingrad, rive gauche. Duruy lui rendait visite de temps en temps.
— Il l’a vu quand pour la dernière fois ?
— Vendredi 12 février, en fin d’après-midi.
— Selon lui, Duruy avait rendez-vous. Le soir même.
— Avec qui ?
— Un ange.
— Quoi ?
— C’est ce que raconte Raoul. En tout cas, c’est ce que lui a dit Duruy.
Anaïs était déçue. Un délire d’éthylique ou de défoncé.
— Tu l’as ramené au poste ?
— Pas à la boîte. Au commissariat de la rue Ducau.
— Pourquoi là-bas ?
— C’était le plus près. Il est en cellule de dégrisement.
— À 10 heures du matin ?
— Attends de voir le phénomène.
— Je passe par François-de-Sourdis et je file là-bas. Je veux l’interroger moi-même.
Elle raccrocha, retrouvant l’espoir. Ce travail de fourmi finirait par payer. Les moindres faits et gestes de la victime seraient reconstitués — jusqu’à son dernier contact avec le tueur. Elle vérifia si elle avait reçu les photos de Duruy par SMS. Elle découvrit plusieurs portraits anthropométriques. Le jeune punk n’avait pas l’air commode. Mèches noires hirsutes. Yeux charbonneux, soulignés de khôl. Piercings sur les tempes, les ailes du nez, les commissures. Philippe Duruy présentait un curieux syncrétisme. 50 % punk. 50 % gothique. 100 % teufeur.
Elle pénétra dans la ville et longea les quais. Le soleil était de retour sur l’esplanade des Quinconces. Le ciel lavé par l’averse crachait un bleu éblouissant au-dessus des immeubles encore brillants de pluie. Elle emprunta le cours Clémenceau, évita le quartier chic des Grands-Hommes puis s’écarta du centre par la rue Judaïque. Elle ne réfléchissait pas pour s’orienter, une part d’elle-même, la part réflexe, lui tenait lieu de GPS.
Rue François-de-Sourdis, elle fonça dans son bureau et vérifia ses mails. Elle avait reçu le rapport du coordinateur de l’IJ, le bel Arabe. Il contenait un scoop : on avait retrouvé au fond de la fosse des particules d’un plancton spécifique, présent sur la Côte basque. Or, on avait aussi découvert ce produit organique sous les ongles de l’amnésique — le cow-boy de Pierre-Janet.
Anaïs décrocha son téléphone dans l’espoir d’en savoir plus. Un lien direct entre la scène d’infraction et le géant. Dimoun ne put que lui répéter ce qu’il avait écrit puis enchaîna :
— Vous connaissez un psychiatre du nom de Mathias Freire ?
— Oui.
— C’est votre expert dans cette affaire ?
— Nous n’avons pas saisi d’expert. Nous n’avons même pas de suspect. Pourquoi ?
— Il m’a appelé hier soir.
— Qu’est-ce qu’il voulait ?
— Connaître nos résultats d’analyses.
— Ceux de la scène d’infraction ?
— Non. Ceux des prélèvements de l’amnésique.
— Vous les lui avez donnés ?
— Il m’a dit qu’il appelait de votre part !
— Vous lui avez signalé que le plancton se trouvait aussi dans la fosse ?
Dimoun ne répondit pas. Plus éloquent qu’un aveu. Elle n’était en colère ni contre le psychiatre, ni contre le technicien. Chacun suivait son idée. À la guerre comme à la guerre.
Elle allait raccrocher quand le scientifique reprit :
— J’ai autre chose pour vous. Le temps que je vous envoie mon rapport, d’autres résultats sont tombés. Un truc auquel je ne croyais pas du tout.
— Quoi ?
— On a tenté une transmutation chimique sur les parois de la fosse. Une technique qui peut permettre de récupérer des marques papillaires, même sur une surface trempée.
— Vous avez récupéré des empreintes ?
— Quelques-unes. Et ce ne sont pas celles de la victime.
— Vous les avez comparées avec celles de l’amnésique ?
— Je viens de le faire. Ce ne sont pas ses empreintes non plus. Un autre gars est passé dans cette fosse.
Des picotements sur tout le corps.
— Je vous les envoie ? fit Dimoun face au silence d’Anaïs.
— Ça devrait déjà être fait.