Allison a traduit le mot. Choï Creuseur ne se l’est pas fait dire deux fois : il s’est élancé en direction d’une partie de la forêt qui ne brûlait pas encore. Les soldats l’ont laissé partir avec un haussement d’épaules.
Grâce à moi, il a vécu un peu plus longtemps. Juste un peu.
L’avion nous a emportés par-dessus le massacre et derrière les murailles de la ville jusqu’à une zone d’atterrissage sur l’une des tours de Centre-Vox. Durant ces quelques minutes de vol, les soldats voxais ont apparemment reçu confirmation de notre identité : après s’être mutuellement consultés à voix basse, ils ont commencé à me traiter avec considération et parlé à Allison d’un ton qui m’a semblé compatissant. Avant même que l’appareil s’immobilise, on nous a remis des vêtements propres (d’impeccables tuniques neuves, cette fois de couleur bleue). L’un des soldats, manifestement médecin, a étalé une pommade sur mon poignet entaillé par Choï Creuseur en tranchant mes liens. Allison s’est toutefois dérobée avec un grognement quand le même soldat a voulu examiner la plaie laissée par l’extraction de son nœud. On nous a donné de l’eau à boire : propre, fraîche, délicieuse.
Nous avons atterri sur un toit balayé par le vent. Nous sommes descendus de l’appareil et les soldats nous ont escortés jusqu’à un énorme ascenseur, mais Allison a reculé au moment d’entrer et posé une question au responsable de l’escouade. Elle a écarquillé les yeux en entendant la réponse et s’est remise à parler. Il a répliqué d’un ton sec et la discussion s’est mise à ressembler à une dispute jusqu’à ce que le militaire finisse par hocher la tête d’un air exaspéré.
« On est presque exactement à la moitié du passage de l’Arc, m’a appris Allison. Le Réseau estime que si le transfert se fait, il aura lieu dans une vingtaine de minutes. Je ne bouge pas d’ici en attendant. »
Je ne voyais pas pourquoi. Que Vox passe ou non sur Terre, être dehors sur cette corniche ou dans un endroit plus confortable en dessous n’y changerait rien.
« Je m’en fiche. » Elle a ajouté plus bas : « Je veux le
On nous a donc conduits à un balcon fermé un étage plus bas, toujours très haut au-dessus de la ville, où nous sommes restés comme deux épouvantails crasseux et un peu tachés de sang à regarder l’île de Vox ou, plus loin, la mer qui scintillait sous la petite lune d’Équatoria. De la fumée montait des champs sur lesquels les Fermiers mouraient (étaient sûrement déjà morts, depuis), mais comme elle s’étirait derrière nous, nous faisions face à un ciel dégagé et rempli d’étoiles. Les avions de guerre regagnaient déjà leurs bases.
Allison a interrogé le soldat le plus proche de notre escorte, puis m’a traduit leur dialogue. Pensait-il que Vox arriverait vraiment à passer sur Terre ? Oui, il n’en doutait pas une seconde, les prophéties étaient en train de se réaliser, les Enlevés se trouvaient parmi nous. Et qu’étaient devenus les Enlevés conduits à Centre-Vox avant le bombardement ? Hasard malheureux, répondit le soldat. Hasard malheureux qu’un missile ait traversé les défenses voxaises et que l’attaque ait endommagé les plus importantes infrastructures de Centre-Vox, et hasard
Je n’ai pas bien compris combien d’« autres » avaient été récupérés dans le désert d’Équatoria, mais il me semblait que la liste devait comprendre le garçon hybride Isaac Dvali, peut-être sa mère et éventuellement quelques infortunés civils présents dans les environs. Le missile les avait-il tous tués ?
« Tous sauf un, a traduit Allison.
— Lequel a survécu ? »
Encore une traduction.
« Le plus jeune. »
Le garçon, par conséquent. Isaac.
« Mais il est gravement blessé, a ajouté Allison. Sa vie ne tient plus qu’à un fil.
— Et ça suffit pour attirer l’attention des Hypothétiques ? Vous pensez vraiment qu’ils vont rouvrir un Arc fermé et nous transporter sur Terre juste parce qu’ils reconnaissent un garçon blessé et un ancien marin en pleine confusion ? »
Elle n’a pas eu besoin de répondre à cette question. Une lueur verte dans le ciel l’a fait à sa place.
3
Sur l’océan d’Équatoria, c’était la nuit. Sur Terre, il faisait jour.
La transition a été d’une simplicité aussi soudaine et aussi déconcertante qu’au moment de ma première traversée, à bord d’un pétrolier rouillé parti de Sumatra à destination d’Équatoria. J’ai eu une légère impression de lourdeur, la Terre étant légèrement plus massive qu’Équatoria, mais ce n’était pas plus inquiétant que de se sentir monter en ascenseur. Les autres changements ont été moins discrets.
Nous avons cligné des yeux dans le jour trouble. Au-delà des rives de Vox, la mer s’étalait, plate et huileuse de tous côtés jusqu’à l’horizon. Le ciel était d’une vilaine teinte verte.
« Oh mon Dieu,
Les soldats sont restés bouche bée.