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Vortex

« Je m'appelle Turk Findley et je vais vous raconter ce que j'ai vécu longtemps après la disparition de tout ce que j'aimais ou connaissais. »C'est par ces mots que commence le premier des dix carnets lignés trouvés dans le cartable d'Orrin Mather, jeune vagabond interné dans un centre d'accueil de Houston. Ces carnets racontent l'histoire de ce Turk Findley qui, en passant un arc temporel des Hypothétiques, a fait un bond de dix mille ans dans le futur et s'est retrouvé sur Vox, un archipel artificiel sur le point de franchir l'arc pourtant fermé qui fait communiquer Equatoria avec le berceau de l'humanité — une Terre à l'agonie devenue toxique et inhabitable.Pour Sandra Cole, le médecin en charge d'Orrin, ce récit est un roman de science-fiction plein d'élucubrations sur les Hypothétiques, mais certains faits contredisent cette confortable théorie, car Orrin connaît bien un monsieur Findley, un trafiquant très dangereux…Suite directe d'Axis, Vortex clôt avec une rare audace la trilogie entamée avec Spin, récompensé par le prix Hugo et le Grand Prix de l'Imaginaire.

Robert Charles Wilson

Научная Фантастика18+
<p>Robert Charles Wilson</p><p>Vortex</p><p>1</p><p>Sandra et Bose</p>

Dernière fois, se dit Sandra Cole lorsqu’elle se réveilla dans la chaleur étouffante de son appartement. Ce serait la dernière fois qu’elle irait passer sa journée de travail en compagnie de prostituées décharnées, de drogués en début de manque qui suaient de tout leur corps, de menteurs invétérés et de petits délinquants. Ce serait la dernière fois car elle allait remettre sa démission.

Elle se disait cela tous les matins de la semaine en se réveillant. Sauf qu’elle n’avait pas démissionné la veille et n’allait pas le faire non plus ce jour-là. Mais un matin, ce serait vraiment la dernière fois. Cette perspective la réjouit pendant qu’elle se douchait et s’habillait ; la soutint durant sa première tasse de café et son rapide petit déjeuner. Quand elle eut fini son yaourt et sa tartine grillée, Sandra avait rassemblé assez de courage pour affronter la journée. Pour accepter que rien n’allait changer, en fin de compte.

Le hasard voulut qu’elle passe devant l’accueil du State Care au moment où le flic amenait le garçon pour évaluation.

Ce dernier resterait sous sa responsabilité pendant une semaine : son dossier avait déjà été joint à sa liste de patients du matin. Il s’appelait Orrin Mather et n’était a priori pas violent. Il semblait d’ailleurs terrorisé, avec ses grands yeux humides et sa manière de tourner brusquement la tête d’un côté ou de l’autre comme un moineau qui craint de voir surgir un prédateur.

Sandra ne reconnut pas le flic qui l’avait conduit là, ce n’était pas un des habitués. Rien détonnant en soi : amener au centre d’admission du Texas State Care des mineurs appréhendés ne figurait pas parmi les tâches les plus nobles aux yeux des policiers de Houston. Curieusement, celui-ci semblait pourtant prendre un intérêt personnel à sa mission. Il n’inspirait aucun mouvement de recul au garçon, qui restait au contraire tout près de lui, comme pour rechercher sa protection. Une main fermement posée sur l’épaule d’Orrin, l’agent dit quelques mots que Sandra n’entendit pas, mais qui parurent apaiser les angoisses du garçon.

Ils étaient aussi différents que possible : le policier grand et robuste, mais pas gros, sombre de teint comme de cheveux et d’yeux ; le garçon plus petit de quinze centimètres, si mince qu’il nageait dans sa combinaison modèle pénitentiaire, et aussi pâle que s’il venait de passer six mois dans une grotte.

Une rumeur plausible voulait que Jack Geddes, l’aide-soignant de service à l’accueil, travaille au noir comme videur dans un bar du centre-ville. Geddes se montrait souvent rude avec les patients… trop rude, de l’avis de Sandra. Dès qu’il se rendit compte de l’agitation d’Orrin Mather, il jaillit de derrière son comptoir, suivi peu après de l’infirmière de service avec son arsenal d’aiguilles et de sédatifs.

Le flic, et c’était très inhabituel, se campa entre Orrin et l’aide-soignant. « Rien de tout ça ne devrait être nécessaire, affirma-t-il avec un accent texan aux très légères intonations étrangères. Je peux accompagner M. Mather là où vous avez besoin qu’il aille. »

Sandra s’avança, un peu gênée de ne pas avoir parlé la première. Elle se présenta comme le Dr Cole et expliqua : « Il faut que nous commencions par l’entretien d’admission. Vous comprenez, monsieur Mather ? Ça se passe dans une pièce au bout du couloir. Je vous poserai quelques questions et noterai deux ou trois renseignements sur vous. Nous vous attribuerons ensuite une chambre. Vous comprenez ? »

Orrin Mather inspira pour se calmer et hocha la tête. L’infirmière et Geddes (qui semblait un peu agacé) reculèrent. Le flic évalua Sandra du regard.

« Agent Bose, annonça-t-il. Docteur Cole, pourrais-je vous toucher deux mots, une fois qu’Orrin sera installé ?

— Ça pourrait prendre un certain temps.

— J’attendrai, répondit Bose. Si vous permettez. »

Et cela, c’était on ne peut plus inhabituel.

La température en ville dépassait les 38 °C depuis dix jours. Le centre d’évaluation du State Care était climatisé, souvent à un point absurde (Sandra gardait un pull dans son bureau), mais dans la pièce réservée aux entretiens d’admission, la grille au plafond ne laissait entrer qu’un mince filet d’air frais. Orrin Mather suait déjà quand Sandra s’assit en face de lui. « Bonjour, monsieur Mather », lança-t-elle.

Il se détendit un peu en entendant sa voix. « Vous pouvez m’appeler Orrin, m’dame. » Il avait les yeux bleus, avec de grands cils qui ne semblaient pas à leur place sur ce visage anguleux. Une estafilade sur sa joue droite cicatrisait en balafre. « Presque tout le monde m’appelle comme ça.

— Merci, Orrin. Je suis le docteur Cole. Vous et moi aurons plusieurs discussions ces prochains jours.

— C’est vous qui décidez qui me garde.

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