— Il semble, effectivement. Dites-moi, grand-père, vous avez entendu parler des rizières du Pou Lo Pô ?
— Approchez !
Je m'agenouille devant lui tandis que dans le couloir le branle-bas prend de l'avancement et devient général.
— Si vous parvenez à sortir d'ici essayez de gagner la bourgade de Fou Zi Toû distante d'une vingtaine de kilomètres des rizières en question. Là-bas vous demanderez la maison de Ko Man Kélé, rue du Caméléondoré, il s'agit d'une de mes anciennes élèves qui est embaumeuse. Vous lui direz que vous venez de ma part et, pour le lui prouver, vous prononcerez les paroles suivantes : « Si tâbo bopr an d'lasprô ». Alors, elle vous aidera.
Je serre la main décharnée du vieillard.
— Merci, grand-père, aussi longtemps que je vivrai, votre souvenir restera gravé dans mon cœur.
— C'est un cœur généreux, dit le mourant, puisse-t-il battre longtemps encore.
Sur ces belles paroles, je sors. Une foule hurlante grouille dans le couloir. Ça déboule des autres cellotes. Béru, armé de la mitraillette (pas folle la guêpe) tient en respect trois gardes placés de l'autre côté de la grille barrant le couloir, tandis que le petit dégourdi jaune de notre cellule essaie les clés récupérées sur les gardiens foudroyés. Il ne s'énerve pas et son calme porte ses fruits puisqu'il parvient à ouvrir. C'est la ruée. Un torrent humain s'écoule.
Le tac-tac d'une mitraillette retentit. Puis un second joint sa voix crachoteuse au premier.
Le Gros me retient par la manche.
— Nous pressons pas, fait-il, on a fait le plus gros, aux autres de se farcir les premières bastos.
La horde des prisonniers s'écoule par la grille en hurlant avec une rare sauvagerie. La fusillade continue dans les couloirs. Drôle d'émeute ! Bientôt nous sommes seuls, le Gros et moi, et alors seulement nous nous aventurons dans la rotonde du poste de garde.
Celui-ci est jonché de cadavres. Maintenant c'est au dehors que ça pétarde. Les prisonniers foncent vers la sortie. Ils tombent, fauchés par les balles des surveillants, mais leur nombre leur donne provisoirement un sentiment d'invincibilité.
— Il doit bien y avoir une autre issue, marmonné-je. La vie appartient à ceux qui la vivent à contre-courant.
Voyez plutôt ce qui passe dans les gros centres urbains, chez vous. Vu l'horrible négligence des urbanistes, la monstrueuse inconséquence des ponts et chaussées qui vous foutent cinquante centimètres d'autoroute par semaine, on ne peut plus remuer. Seuls se déplacent encore ceux qui voyagent la nuit ou pendant midi. Ceux qui vont à Paris pour le week-end et non pas à la camberousse, ceux qui prennent leurs vacances en mars et non en août. Puisque les pauvres.
Les provisoires évadés se ruent vers l'entrée principale, cherchons, nous, l'entrée de service. Efforçons-nous de sortir par la porte étroite !
On voit une lourde ouverte et on l'emprunte à trois pour cent d'intérêts payables à la souscription. Elle nous fait accéder à une partie des bâtiments réservés aux logements des gardes. C'est plein de dames et de mouflets en chemise de nuit qui jacassent sur leurs seuils. Béru leur montre sa mitraillette, et aussitôt ces chères madames et ces mignons bambins se claquemurent. On fonce toujours, au petit bonheur, c'est encore le guide le plus sûr.
Nous parvenons dans une cour bordée de hangars sous lesquels sont remisés une foule de machines servant à l'exploitation de la mine. Il y a là des cribles thermo-fiduciaires, des introspecteurs à longue durée, des fouinasseurs à ondes courtes, des stratagèmes géants montés sur chenille, des amalgameurs de fréquence à moulinette perforée, des conjonctivites traceuses, des prostateuses lentes à boule kère, des enfigourées électriques (les meilleures) et des coltineuses de périphrases à syntaxe superposée. Mon choix se porte immédiatement sur une auto-chenille. Nous ne demandons qu'à la transformer en papillon !
Je saute au volant et je tripatouille le tableau de bord. C'est une Smig modèle 61, par conséquent, je n'ai aucune difficulté à la mettre en marche. Béru bondit à mon côté, féal compagnon des folles entreprises !
Tout dans la volée, mes filles ! L'exercice grâce et souplesse continue !
On a faim, on a soif, on a sommeil, on n'est pas rasé, pas lavé, on est vidé. Mais le fabuleux tandem Béru-San-A. n'interrompt pas pour autant ses démonstrations de haute voltige.
La chenillette fait un boucan du diable. Illico des bouilles apparaissent aux fenêtres. Je fonce en direction d'un portail fermé. Il est verrouillé au moyen d'un énorme cadenas, mais il est en bois. A quoi servirait cette chenillette si elle devait se laisser impressionner par un pareil obstacle ? Je bombe dans le double vantail. Ça fait vrrang et ça cède ! Il faut toujours céder les uns les autres ! Nous débouchons sur une large esplanade baignée de lune où sont parqués d'autres engins dont, pour ne pas surmener vos cellules atrophiées, je m'abstiendrai de dresser l'inventaire.