A l'intérieur du pénitencier c'est la grande fournaise : Douaumont, le Chemin des Dames ! Un vrai massacre ! Maintenant les mitrailleuses de miradors se sont mises de la partie et pralinent follement, tandis que les puissants projecteurs volent au secours de la lune !
— On a été vachement géniaux de libérer les autres camarades, me dit le Gros. Ça détourne l'attention !
— Pas tellement, réponds-je en montrant deux puissantes bagnoles lancées à nos trousses.
Est-ce par osmose ? Toujours est-il que Béru se met à rire jaune depuis qu'il est en Chine !
— Mince, dit-il, en modifiant les trois lettres du milieu de ce mot passe-partout, j'avais pas remarqué.
Une grêle de balles crépitent contre la carrosserie de notre charrette.
— Baisse ta ruche, les frelons volent bas ! crié-je à mon ami.
Il se palpe le lobe, Bérurier. Sa main est toute poisseuse. Il a morflé une dragée au bas de l'étiquette droite.
— Bouge pas, rouscaille-t-il, je vas te leur faire déguster une confiture de prunes de ma fabrication.
Je le stoppe.
— Molo, tu n'as qu'un chargeur de disponible, comme ils ont l'air de nous rattraper, tu seras toujours à temps de défourailler à bon escient.
— Tu sais pourquoi qu'ils nous rattrapent ? interroge Sa Rondeur.
— Parce qu'ils vont plus vite que nous, lapalissé-je.
— Non, parce que t'as une auto-chenille et que tu roules connement sur une route au lieu de bomber dans la nature !
Si mes pieds n'étaient pas sollicités par les pédales du véhicule, parole of man, je me flanquerais des coups de savate dans le valseur !
Comme le pépin de mitraillette continue de crépiter sur notre voiture, je braque tout à gauche, défonçant une barrière de ciment armé, et je continue sur terrain accidenté. Du coup, les voitures suiveuses ne suivent plus.
— J'espère qu'on ne va pas se payer une nouvelle promenade sur champ de mines, lamente mon ami. A force de taquiner le sort, tu verras qu'on finira par se retrouver avec coquette collée au pare-brise et les joyeuses dans le pommier d'en face !
Je ne pense pas que ce funeste présage soit fondé car nous nous déplaçons sur une ancienne carrière mal remblayée par les fouilles des nouvelles.
Le grand problème du monde moderne, c'est l'évacuation de ses résidus. Ce qui a manqué à l'univers, c'est le trou de départ, une poubelle naturelle où déverser la matière des trous à venir. Et maintenant, avec les bricoles radio-actives, ça se complique salement. L'homme s'auto-contamine. Il a créé la vérole pour les autres, mais c'est un boomerang qui finit par lui revenir dans le calbar. Les déchets ne sont plus évacuables. Ils pourrissent la mer, donc le poisson, donc celui qui le mange. Ils pourrissent la terre, donc les plantes et donc ceux qui les broutent ! C'est la grande, l'intégrale chetouille ! La destruction en profondeur. La lente désagrégation (moi je m'en fous : je suis pas agrégé, je suis que licencieux de la matière. On se détruit à qui mieux mieux, en bouffant, en respirant !
La vérolerie est partout, ambiante, endémique ! Choléra suprême ! la grande crève universelle ! Sapant tout ! Envahissant, rongeant, érosant, défigurant ! Oui, défigurant ! Et c'est ça surtout qui les emmouscaille, les bonshommes. Ils font le complexe de Ney ! Le cœur, d'accord, tant pis, ils acceptent d'être les forçats du myocarde. Mais pas la frite ! Oh ! Non, par pitié, épargnez leurs jolies gueules de raie, leurs belles bouilles d'abrutis, de bellâtre, de pédants, de pédés, de pédiatres, de pédagogues, de pélagiens, de pélicans-lassés-d'unlong-voyage, de parnassiens, de pharmaciens, de bourgeois de Calais, de recalés, de câléchiers ! Prenez-leur la vésicule, bouffez-leur la rate, cisaillez-leur le foie, dégonflez-leur les éponges, déburnez-les, même, au besoin, mais ne dérangez pas leur coiffure ! Ne touchez pas à leur nez ! N'entamez pas leurs pommettes !
La pomme de terre en robe de chancre, c'est ça qui les terrifie. C'est quand ils auront des figures en cul de singe qu'ils s'arrêteront peut-être de déconner, de désastrer ! Dans leur glace. Ils l'apercevront le ravage, lorsqu'ils verront la photo de la lune à la place de leur ancienne image ! Alors là, oui, y aura déblocage au sommet, la réunion des galeux ! Des pelés ! Lambaréné à tarif unique ! Tous les bien-nés sans nez Je veux pas rater ça !
Messieurs de la pelade rouge-eczéma, cratérés de partout, avec des joues comme des morilles, les ratiches effeuillées, les gencives en pâte molle, les breloques fanées, un trou de balle à la place du naze et des membres revus et corrigés par la thalidomide ! Oui, je demande à voir, je sollicite de la bienveillance de Monseigneur le Trèshaudessus-de-la-moyenne, le privilège de me délecter abondamment d'une humanité devenue résiduaire pour avoir eu trop de résidus !
— On a l'air bonnards ! me dit le Gros. La chenillette, c'est le salut du fugitif.
Une fois de plus, son élan optimiste est étouffé dans la coquille.