Au lieu de l'ôter tout de suite de sa douille, je commence d'arracher le fil du plafond. Il ne tient que par des cavaliers rouillés plantés dans une latte de bois et ça vient assez facilement.
Les trente détenus ont les yeux rivés sur moi. Ces faces jaunes aux regards hallucinés me dopent. Les apôtres devaient pas le regarder autrement, Jésus, quand il ridiculisait les scaphandriers en marchant sur les eaux ou quand il réduisait les boulangers au chômage en multipliant les brignolets.
Je récupère le fil sans bavure, Comme il débouche d'un trou percé au-dessus de la porte, cela me laisse une bonne longueur disponible.
Maintenant, le plus duraille reste à faire : enlever la douille après l'ampoule, c'est-à-dire marner dans le noir, en étant serré comme un anchois dans sa boîte. C'est minutieux comme turf, et dangereux, car si je monte une décharge dans les paluches, je vais électrocuter tous les autres, puisque me trouvant en contact étroit avec eux.
— Refoule-les au mari pendant que je dévisse la douille ! ordonné-je au Mastar.
Sa Majesté s'y emploie. Je voudrais posséder des doigts de dentellière pour mener à bien ce délicat travail. Ma volonté est si tendue que mes doigts paraissent s'effiler. Je parviens, de la pointe de l'ongle, à dévisser la première vis lilliputienne… Et puis, c'est au tour de l'autre. Nous sommes plongés, dans un noir opaque. Les respirations haletantes constituent un angoissant fond sonore. De ma main gauche, je tiens solidement le double fil, je coule la droite sous la douille et d'un coup sec, j'arrache cette dernière. En piste !
— Grand-père ! appelé-je dans l'obscurité.
Un gémissement, une plainte escamotée.
— Nous allons alerter le gardien, dites aux autres que lorsqu'il demandera ce qui se passe, ils devront répondre… (là je marque un temps)… que vous êtes mort !
C'est effroyable comme situation. Demander à l'intéressé de traduire de telles paroles ! N'avoir que lui qui puisse les traduire ! Ah je vous jure que dans cette affaire je serai allé jusqu'aux limites du soutenable.
Je file un coup de pompe dans la lourde. Ça déclenche un concert.
Quelques minutes s'écoulent, et puis le judas coulisse. Naturellement, il y voit ballepau, le gardien. Il a beau coller son œil à l'orifice, on lui joue « Purée de Goudron dans le Tunnel » en vistavision.
Il demande des trucs. Un de nos compagnons lui répond. Alors, le gardien quitte le judas et parlemente avec d'autres gardes que j'aperçois par le guichet resté ouvert. Ils sont deux, en effet. L'un a une mitraillette. Il ôte la bretelle de son épaule et la prend en main.
J'entends le verrou coulisser. J'ai observé qu'il y en avait deux. C'est celui du haut que le gardien actionne en premier. Je me baisse, le fil dardé. Grâce à la clarté tombant du judas, j'y vois un tantinet. Je repère les rivets fixant le verrou du bas. Pour que mon truc marche, il faut jouer sur des fractions de seconde. Je dois brancher le jus après que l'homme a tiré le verrou, mais avant qu'il n'ait lâché la poignée.
Je retiens ma respiration. La petite fourche que composent les deux fils n'est qu'à quelques millimètres du rivet. Ça grince… Je devine le geste du gardien, je l'accompagne de l'autre côté du panneau. Soudain je devine que la tige de fer a quitté sa gâche.
En avant la musique. Je plaque les fils dénudés contre le rivet. Pendant un instant, c'est comme dans un rêve, lorsqu'on tombe dans un gouffre mystérieux et sans fin. Pas un mot, pas un cri, pas un mouvement. Le monde est devenu une abstraction monstrueuse. RIEN NE SE PRODUIT. Je me demande si le courant a passé et s'il est assez fort pour provoquer une réaction !
— Mate un peu par le judas ! enjoins-je au Gros.
Il se détranche à bloc, Béru, plaquant son mufle dans l'ouverture à s'en faire gicler la gobille à l'extérieur.
— Il est à genou, dit-il. Il ne bouge plus.
— Et les deux autres ?
— Ils attendent. Ah ! en v'là un qui sourcille… Il commence à se demander à quoi que joue leur pote.
Le Gros commente sobrement, très vite :
— Il se baisse aussi. Il veut secouer son petit camarade. Coincé ! II bascule sur lui. Oh ! pardon, c'est pas du jus de chic qui roule dans ces fils ! On est branché sur la force dans l'hostellerie de « Couche-misère ». Peut-être même sur haute-tension ! Reste plus que le troisième qui entrave que pouic à ce cirrus !
— L'homme à la mitraillette ?
—
— Pourvu qu'il ameute pas la garde !
— Non, c'est une vraie truffe ! Il se peine ! Il avance la pogne ! Pris !
C'est gagné.
Je me relève et je tiens le fil très haut levé pour éviter un accident à l'intérieur de la cellule.
— Sortez ! crié-je, et sans bousculade. Ramassez les armes et les clés, ouvrez les autres cellules.
— T'occupe pas du chapeau de la gamine ! fait dans l'obscurité la voix du nyctaglotte.
Le premier il pousse la porte.
Et il sort le premier !
Bravo, Béru !
CHAPITRE TREIZE
— Il semble que vous ayez réussi le début de votre folle entreprise, mon fils ? fait le vieux.