L'ancienne carrière ne fait que rejoindre la nouvelle et le tout est cerné par les fortifications barbeleuses que vous savez. On peut faire une partie de cachetampon, mais s'enfuir, que non point ! On tourne en rond, en grand rond, mais en rond ! Ah ! haïssons bien fort la circonférence lorsqu'elle est close !
— Vise sur la droite ! clame le Gros, y a une caserne !
— Une caserne ? m'étonné-je.
Il me désigne une vaste excavation dans la falaise taillée.
— Tu veux dire une caverne !
— Caserne ou caverne fonces-y du temps qu'on est z'hors de vue.
Me fiant à ses impulsions j'obéis. La chenillette disparaît dans le sein de la terre nourricière. Il fait noir comme en un four dans cette grotte artificielle. La chaleur de la journée n'y a pas pénétré et nous bénéficions d'un brusque bain de fraîcheur.
— Il va leur falloir un bout de temps pour nous dénicher, assure le Vaillant. De nuit, malgré la lune, c'est pas commode de repérer ce trou noir !
Je hausse les épaules. Une fois encore nous ne faisons que reculer l'échéance. Dès que la mutinerie sera jugulée ils se mettront tous à nos chausses et nous arquepinceront.
— Je sais à quoi que tu penses, me dit Béru, d'accord, on s'est évadé à l'intérieur d'une cage pour ainsi dire, mais reconnais qu'on est mieux ici que dans la cellule de tout à l'heure.
— Profitons-en pour roupiller un peu, conseillé-je, nous sommes morts de fatigue !
Il est de cet avis, le Mastodonte. Le temps mort déguisé en sommeil n'est pas du temps perdu. On se pelotonne dans la chenillette, la mitraillette entre nous deux, et on en écrase.
Pas longtemps. J'en suis à la période de ce lent balancement de l'intellect qui précède la dorme lorsqu'un vrombissement énorme me fait sursauter. Je m'avance à l'orée de la grotte et qu'aperçois-je ? Je ne vous le fais pas deviner parce que ça nous prendrait trop de temps, je préfère étancher votre curiosité tout de suite.
Je vois descendre du ciel un gigantesque hélicoptère tout illuminé. Il se pose à cent mètres de notre refuge, sur le terre-plein bien découvert.
— On rêve ou si c'est du cinoche en plein air ? questionne le Mahousse qui m'a rejoint.
— Ce sont des renforts, expliqué-je en voyant sortir une centaine d'hommes, armés de mortiers et de mitraillettes, du ventre de l'appareil.
Sans doute la direction du pénitencier a-t-elle pris peur devant l'ampleur de la mutinerie.
— Probable que nos copains se débrouillent bien, dit le Gros. Ils ont dû piquer des armes aux gardiens neutralisés…
La petite troupe armée se met à courir au pas cadencé en direction des bâtiments.
Bérurier me pousse du coude.
— Dis donc, soupire-t-il d'un ton extatique.
— Oui, Gros, fais-je, je suis tout à fait de ton avis.
— C'est marrant comment qu'on se comprend sans causer !
Le pilote est resté à bord de l'hélicoptère et un homme armé d'une mitraillette monte la faction devant la porte de celui-ci.
— Votre avis, docteur ?
Je me gratte le nez.
— Il faut neutraliser le factionnaire, décidé-je.
Le Gravos désigne la pétoire à ressort.
— Je lui cause du paradis avec mon téléphone à dragées ?
— C'est cela, pour donner l'alarme au pilote et au reste de la troupe !
— Alors ?
— Bouge pas, je vais sortir. Tu vois ce rocher à gauche ?
—
— Je vais aller me planquer derrière en rampant. Lorsque je me serai planqué, tu éclaireras les phares de la chenillette.
— Et alors ?
— Probable que ce halo lumineux attirera l'attention du veilleur. Ne fais pas un bruit, cache-toi derrière la brouette et attends.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Je repte jusqu'au rocher. Le temps de compter jusqu'à dix et Béru allume les calbombes.
C'est féérique comme effet. La grotte de Lourdes, mes bien chers frères ! En pleine apparition ! Le garde mate aussi sec dans cette direction et se fige.
On n'entend que la pétarade en provenance du pénitencier. L'homme hésite, fait un pas vers l'ouverture de la grotte, le doigt sur la détente de sa seringue. Il s'arrête, écoute se pose visiblement trente-six questions auxquelles il est incapable de répondre. Il aimerait savoir. Alors il lance un cri qui doit signifier quelque chose dans le genre de « halte-là ». Rien ! Il s'enhardit. Il marche jusqu'à l'entrée de la caverne. Le voici à la hauteur du rocher.
Je le laisse prendre deux mètres d'avance et je bondis de ma cachette.
Les Chinois ont l'oreille fine. A mon premier pas dans la rocaille il fait volte-face, mais un San-Antonio qui, s'élance, c'est comme un barrage crevé : faut qu'il impétue jusqu'à son estuaire. Un dix millionième de seconde avant qu'il presse la détente je lui mets ma boule dans sa boîte à dominos. Il en glaviote quatre ou cinq et lâche son arme. Je le finis, d'un une-deux à la face qui lui fait éternuez ses souvenirs d'enfance en même temps que quatre molaires non carriées. Il est groggy jusqu'au coma. Quand il retrouvera ses esprits il mettra un bon moment avant de pouvoir réciter sa table de multiplication par neuf, je vous le prédis.
— Ohé, Béru ! hélé-je.