Les Russes, tout à leur percée plus au sud, négligèrent notre secteur. D’ailleurs, pourquoi s’exposer à des pertes pour chasser une Wehrmacht qui part toute seule ! L’armée rouge confia plutôt cette besogne aux partisans de plus en plus nombreux. Atteignant des proportions inimaginables dans un pays en principe sous notre contrôle, ces groupements s’activèrent, sur l’ordre du camarade Staline, à rendre plus insupportable encore notre désespérante retraite. Embuscades éclairs, mines, obus piégés, cadavres des hommes des postes intérieurs mutilés puis piégés, attaques des convois ravitailleurs, des groupes isolés et des points de ralliement, refus continuel de contact avec les unités capables de combattre, horribles mutilations de prisonniers… Le partisan, le terroriste du nom qu’il acquiert de lui-même, s’attaque toujours à ce qui lui semble une proie facile, à ce qu’il est sûr de pouvoir vaincre. À l’impitoyable cruauté, il vient encore ajouter. Ce que l’armée régulière n’a pu atteindre en démence, il le parachève.
La Wehrmacht ploie sous la puissance d’un ennemi incomparablement plus important. À l’héroïque rigueur du front s’ajoute l’insupportable, l’inacceptable harcèlement des francs-tireurs. L’arrière n’offre plus de repos aux troupes dépassées, exténuées. L’Ukraine sympathisante subit elle aussi le pillage des bandes aux ordres du grand camarade ! Le civil ukrainien doit choisir. Pour ou contre. L’expectative est sanctionnée comme l’hésitation. Les bandes assassinent ou entraînent les jeunes Ukrainiens jadis si respectueux de l’organisation allemande. Le mot « partisan », encore du domaine de la légende, devient une oppressante réalité. La guerre invisible triomphe.
La guerre qui n’offre plus ni retraite, ni calme, ni de pitié. La guerre subversive n’a plus de visage. Comme la révolution, elle crée ses martyrs, ses innocents, ses otages. Elle provoque les jugements confus, les gestes inconsidérés. On tue pour « leur apprendre », on tue pour se venger, par représailles pour ce qui vient d’être fait ou ce qui pourra se faire. Les francs-tireurs jettent de l’huile sur l’immense brasier.
Au nom de la liberté marxiste, on oblige l’Ukraine à penser différemment. Dans le cœur des Ukrainiens comme dans celui des Allemands, coule le fiel amer savamment distribué. La haine gonfle. Son visage devient plus hideux. Elle déchaîne la guerre à outrance ! La terre brûlée ! Elle ne laisse pas plus de répit aux villageois exposés aux représailles, qu’aux futurs vaincus. Elle traîne maintenant dans son affreux sillage sanglant, le plus véhément paroxysme d’un conflit innommable. Tandis qu’enfle la guerre illogique, notre unité égrène ses vingt-quatre heures de garde sous le froid meurtrier.
Aucun bruit ne trouble le silence de la terre enneigée. Seul, parfois, le hurlement d’un loup gris de la Taïga se fait entendre au fond de la forêt presque inexplorée. Un quart de l’effectif veille derrière des retranchements les plus fantaisistes, sur la tourelle collante de givre des Panzer ou en patrouille hâtive en lisière du bois. Le reste de la troupe s’est engouffré dans les isbas abandonnées.
Les fours en ont été systématiquement détruits avant notre passage. Sans aucun doute sur l’initiative des partisans. L’ennemi espère ainsi nous refuser toute possibilité d’abri et nous faire crever de froid. Certaines isbas n’ont plus de toit. Ils ont été incendiés ou arrachés avant notre arrivée. Les terroristes n’ont sans doute pas eu le temps de raser l’ensemble. Nous sommes trop nombreux pour le nombre d’abris encore viables. Des masses d’hommes recroquevillés sur eux-mêmes stationnent dans l’enceinte des murs encore debout, avec le ciel drapé d’un lourd et opaque brouillard comme toit. Au centre des ruines, on allume tout ce qui peut brûler. À l’intérieur des isbas privilégiées flambent également de vifs brasiers qui menacent à tout instant d’allumer la couverture. Nos troupes exténuées ne prennent pas la peine de récolter en forêt le bois mort. Toute la misérable installation de l’isba est hachée et livrée à la combustion. Les fours détruits provoquent le ravage de ce qui subsiste autour. Les hommes, aveuglés par la fumée qui envahit l’isba et ne s’échappe que par la porte et ce qui reste de la poterie, jurent d’énervement. Les uns sur les autres, bien souvent debout, ils cherchent vainement le sommeil à travers les quintes de toux. Ceux des isbas sans toit ne sont pas aveuglés, par contre ils ne captent qu’une chaleur fort relative. Les plus près du bûcher cuisent et doivent fuir.
Les autres, ceux qui en sont éloignés de 4 ou 5 mètres ne subissent qu’un réchauffement très faible : peut-être 7 ou 8° au-dessous de zéro.