Peu à peu, les convives soufflèrent leurs chandelles, les voix se turent. Qualinost fut plongée dans le silence et l’obscurité. L’Orateur quitta son siège.
— À présent, il est temps de réunir le Conseil Suprême, dit-il d’un ton grave. Il se tiendra dans la Chambre Céleste. Tanthalas, si tu veux bien y conduire tes compagnons…
La Chambre Céleste était une grande place ouverte sur un ciel constellé d’étoiles. Au nord, l’horizon ténébreux était zébré d’éclairs. Les compagnons se groupèrent autour de l’Orateur, toute la population faisant cercle autour d’eux.
— Nous voyons ici où nous sommes, dit l’Orateur en montrant le sol.
Les compagnons découvrirent une immense carte géographique sous leurs pieds. Tass, qui se trouvait au milieu des plaines d’Abanasinie, était émerveillé.
— Solace est là ! s’exclama-t-il en pointant un doigt sur la carte.
— Oui, kender, répondit l’Orateur, c’est là que le gros de l’armée draconienne est stationné. À Solace et à Haven, dit-il en désignant les villes de la pointe d’un bâton. Le seigneur Verminaar n’a pas fait mystère de ses projets d’invasion du Qualinesti. Il n’attend plus que le reste de ses troupes, et que s’organise l’intendance. Nous ne pouvons espérer tenir contre une telle horde.
— Qualinost peut tenir, intervint Sturm. Il n’y a pas de route pour y accéder. Nous avons traversé des précipices sur des ponts qu’il suffirait de détruire pour empêcher n’importe quelle armée de passer.
— S’il n’y avait que l’armée, nous pourrions défendre le Qualinesti. Mais que pouvons contre les dragons ? Rien ! Selon la légende, le valeureux Huma n’a pu les vaincre que grâce à la Lancedragon. Personne, à notre connaissance, ne se souvient du secret de cette arme extraordinaire.
« Il ne nous reste plus qu’à abandonner la ville et la forêt. Nous pensions aller vers l’ouest, dans des contrées sauvages, ou retourner au Silvanesti, le domaine d’origine des elfes. Notre plan était bien préparé. Il faut trois jours de marches forcées aux troupes du seigneur des Dragons avant de pouvoir donner l’assaut, et nos espions nous auraient informés de leur départ de Solace. Nous aurions eu le temps de fuir vers l’ouest. Mais nous avons appris qu’il y avait une autre armée à Pax Tharkas, à moins d’un jour de marche d’ici. Si nous ne l’arrêtons pas, nous sommes perdus. »
— As-tu un moyen de vaincre ou d’arrêter cette armée ?
— Oui, répondit l’Orateur en regardant son fils cadet. Tu sais que les gens de Hautes-Portes et de Solace sont emprisonnés dans la forteresse de Pax Tharkas et travaillent pour le seigneur des Dragons. Verminaar est malin. Pour empêcher la révolte des esclaves, il a pris en otages leurs familles. Si nous les libérons, les captifs se révolteront. La mission de Gilthanas consistait à libérer les otages et à mener la révolte. Il aurait ensuite conduit les humains dans les montagnes du sud, attirant ainsi l’armée à leurs trousses, ce qui nous laisserait le temps de fuir.
— Et après, qu’adviendra-t-il des humains ? demanda sèchement Rivebise. Tu les jettes en pâture aux armées draconiennes comme un désespéré lance un morceau de viande à une meute de loups qui le traque ?
— Verminaar ne va pas les garder très longtemps. Les mines ne rendent presque plus rien. Il n’aura plus à s’embarrasser d’esclaves et il les tuera. Il y a des cavernes dans la montagne, où les humains peuvent se réfugier et se défendre. Ils tiendront facilement les cols, maintenant que l’hiver arrive. Certains mourront, mais c’est le prix à payer. Si tu avais le choix, homme des plaines, préférerais-tu mourir en esclavage ou en te battant ?
Rivebise, les yeux fixés sur la carte, ne répondit pas.
— Gilthanas a échoué, dit Tanis, et tu voudrais que nous prenions la relève et menions la révolte, si j’ai bien compris ?
— Exactement, Tanthalas. Gilthanas connaît un chemin pour Pax Tharkas : le Sla-Mori. Il vous conduira à la forteresse. Vous pourrez sauver des humains, mais aussi donner une chance de survie aux elfes, une chance qu’ils n’ont pas eue quand les humains ont provoqué le Cataclysme !
Rivebise leva les yeux et fronça les sourcils. Le visage de Sturm s’assombrit. L’Orateur poussa un soupir.