— Non, je refuse d’y croire ! dit Tanis, furieux. Vous vous trompez tous les deux ! Je suis prêt à le parier sur ma vie. J’ai grandi avec Gilthanas, je le connais bien ! Oui, il y a eu des différends entre nous, mais nous en avons discuté, et le sujet est clos. Non, je ne connais pas le chemin de Pax Tharkas. Je n’y suis jamais allé. Autre chose encore, cria-t-il, exaspéré, s’il y a quelqu’un dont je me méfie dans ce groupe, c’est de ton frère et du vieillard !
Le grand guerrier blêmit et baissa les yeux. Il allait s’éloigner, quand Tanis réalisa qu’il était allé trop loin.
— Pardonne-moi, Caramon. Je n’ai pas voulu dire ça. Raistlin nous a plusieurs fois sauvé la vie au cours de ce maudit voyage. Mais je n’arrive pas à croire que Gilthanas soit un traître.
— Nous le savons, Tanis, dit doucement Sturm, et nous avons confiance en ton jugement. Mais la nuit est trop noire pour marcher les yeux fermés, comme on dit chez nous.
Tanis hocha la tête en soupirant. Il prit Sturm par le bras. Les trois hommes restèrent ainsi côte à côte sans rien dire, puis regagnèrent à pas lents la Chambre Céleste.
— Que signifie Sla-Mori ? demanda Caramon.
— Chemin secret, répondit Tanis.
Réveillé en sursaut, le demi-elfe bondit sur son poignard. Une forme sombre était penchée sur lui. Il la maîtrisa rapidement et la maintint le dos au sol, la lame sur la gorge.
— Tanthalas !
C’était un petit cri étouffé, comme une plainte, déclenché par le miroitement de la lame.
— Laurana !
Elle l’étreignit, tremblante. Il vit ses longs cheveux dénoués ruisseler sur la chemise légère qu’elle portait sous sa cape.
Cédant à une impulsion, Laurana avait quitté son lit et s’était faufilée jusqu’à lui.
— Laurana…, répéta Tanis en rengainant son poignard.
Il la repoussa et s’assit, contrarié de lui avoir fait peur et qu’elle ait réveillé des sensations profondément enfouies en lui. Il avait senti le parfum de ses cheveux, la chaleur de son corps, la douceur de ses seins. Laurana était une petite fille quand il l’avait quittée. Il retrouvait une femme très belle et très désirable.
— Au nom des Abysses, qu’est-ce que tu fais ici à cette heure ?
— Tanthalas, je suis venue te demander de changer d’avis. Laisse tes amis libérer les humains à Pax Tharkas et viens avec nous ! Ne gâche pas ta vie. Mon père est désespéré, il ne croit pas que ce plan puisse réussir, je le sais. Mais il n’a pas le choix. Il pleure déjà Gilthanas comme s’il était mort et enterré. Je vais perdre mon frère. Je ne peux pas te perdre, toi aussi !
Tanis jeta un coup d’œil alentour. Si des gardes survenaient, quel scandale !
— Laurana, dit-il en la secouant par les épaules, tu n’es plus une enfant. Il faut que tu sois une grande fille, et vite ! Je ne laisserai pas mes amis affronter seuls le danger. Je ne suis pas aveugle ! Mais si nous pouvons libérer les humains et vous donner la chance de vous enfuir, il faut saisir cette possibilité ! Il arrive un moment, Laurana, où on risque sa vie pour ce qu’on croit, et qui signifie plus que la vie elle-même. Comprends-tu ?
— Oui, Tanthalas, j’ai compris.
— Bien ! soupira-t-il. Maintenant tu vas retourner au lit. Vite ! Tu me mets dans une situation impossible. Si Gilthanas nous voyait…
Laurana se leva et traversa les allées bordées de peupliers bercés par la brise. Arrivée sans encombre dans la maison de ses parents, elle écouta à leur porte. Il y avait de la lumière dans leur chambre. Elle entendit le froissement du parchemin et sentit une odeur âcre passer sous l’huis. Son père était en train de brûler des papiers…
7
Doutes. Embuscade ! Une nouvelle recrue.
Les elfes réveillèrent les compagnons avant le lever du jour. Gilthanas, qui avait revêtu une cotte de mailles sur sa tunique bleue, les rejoignit après le petit déjeuner.
— Voici des vivres ! Nous pouvons aussi vous donner des armes et de l’équipement, si besoin est.
— Il faudrait une armure et un bouclier pour Tika, dit Caramon.
— Je vais m’en occuper, mais il sera difficile de trouver une armure à sa taille.
— Comment se porte Théros Féral, ce matin ? demanda Lunedor.
— Il se remet lentement, prêtresse, dit Gilthanas en s’inclinant respectueusement devant la jeune femme. Allez lui dire au revoir avant qu’il parte avec les nôtres.
Des elfes revinrent avec une armure à la taille de Tika. Ils apportaient aussi l’épée courte et légère en usage chez les dames elfes. Tika admira le heaume et le bouclier ciselés et incrustés de gemmes que Gilthanas lui présenta.
— Je voudrais te remercier de m’avoir sauvé la vie à l’auberge, dit-il. Accepte ce présent. C’est l’armure d’apparat de ma mère ; elle date des guerres de Kinslayer. Elle devait échoir à ma sœur, mais Laurana et moi avons décidé que tu la porterais.
— Quelle merveille ! murmura Tika, rougissante. Mais je ne sais pas comment me débrouiller avec ces pièces d’armure, avoua-t-elle.
— Je vais t’aider, proposa Caramon.
— Je m’en occupe, intervint Lunedor avec fermeté.
— Que connaît-elle des armures, bougonna Caramon.