— Je te demande de me libérer de mes engagements envers toi, Laurana, comme je te libère des tiens.
Incapable de proférer un mot, Laurana prit l’anneau. Ne trouvant dans le regard de Tanis que de la pitié, elle poussa un cri déchirant et jeta le bijou au loin.
Tass le ramassa et le glissa dans sa poche.
— Laurana, dit Tanis en la prenant dans ses bras, je suis désolé. Je ne pensais pas que…
Tass sortit des buissons et reprit le sentier.
Tanis se réveilla en sursaut. Gilthanas se tenait devant lui.
— Laurana ? demanda le demi-elfe en se levant.
— Elle va bien, dit tranquillement Gilthanas. Ses suivantes l’ont emmenée chez elle. Elle m’a raconté ce que tu lui avais dit. Je voudrais que tu saches que je te comprends. C’est ce que je craignais depuis longtemps ; ta moitié humaine a besoin des humains. J’ai tenté de le lui expliquer, pour qu’elle souffre moins. Avec le temps, elle m’écoutera. Merci, Tanthalas, je me doute que ça n’a pas été facile.
— Loin de là. Mais je vais être honnête, Gilthanas, je l’aime, c’est ainsi. Cependant…
— S’il te plaît, restons-en là. Laissons faire les choses, et si nous ne pouvons être amis, au moins respectons-nous.
« Tes amis et toi devez vous préparer. Au lever de la lune d’argent, la fête commencera, suivie de la réunion du Conseil Suprême. Le temps est venu de prendre des décisions. »
Quand il fut parti, Tanis exhala un grand soupir et s’en fut réveiller les autres.
6
L’adieu. La décision des compagnons.
Le banquet avait lieu sur une grande place de marbre et de cristal dominée par la tour dorée. Les convives admiraient la cité scintillant en contrebas, sur le fond des forêts et des Montagnes Tharkadan. La beauté du paysage était d’autant plus poignante qu’elle leur échapperait bientôt.
Lunedor était assise à droite de l’Orateur. Celui-ci fit quelques tentatives pour engager la conversation, mais le cœur n’y était pas.
À gauche de l’Orateur, Laurana, le nez dans son assiette, ses longs cheveux éparpillés autour d’elle, montrait peu d’appétit. Quand elle relevait la tête, c’était pour dévisager Tanis.
Le demi-elfe, troublé par les regards désespérés de Laurana et ceux, plus acérés, de Gilthanas, mangeait du bout des lèvres. À côté de lui, Sturm échafaudait des plans de défense pour le Qualinesti.
Flint se sentait étranger et déplacé parmi les elfes. Il n’aimait pas la nourriture et refusa tout. Raistlin chipotait dans son assiette, les yeux fixés sur Fizban. Mal à l’aise parmi les sveltes beautés elfes, Tika se sentait empruntée et balourde. Caramon trouva une explication à la minceur de leurs hôtes : ils ne mangeaient que des légumes et des fruits accommodés de sauces raffinées, de pain et de fromage, le tout arrosé d’un vin parfumé. Après avoir jeûné quatre jours enfermé dans une cage, le guerrier aurait aimé se mettre autre chose sous la dent.
La lune rouge restait invisible. Lunitari, réduite à un mince croisant argenté, était sur son déclin. À l’apparition des premières étoiles, L’Orateur fit un signe de tête à son fils. Gilthanas vint se placer debout à côté de son père et entonna un chant.
— Que chante-t-il ? Quelles sont les paroles ? demanda Sturm à Tanis, qui écoutait, la tête entre les mains.
Tanis leva la tête et traduisit d’une voix brisée :
Les elfes se joignirent à son chant, y ajoutant des tonalités d’une infinie tristesse :
Mille petites lumières dansantes trouèrent la nuit, s’étendant dans les rues de la ville jusqu’aux forêts. Une à une, des voix venaient se joindre au chant :