— Je souhaite la bienvenue à tous, reprit l’Orateur, et j’espère que nous ferons plus tard connaissance. Mais il est juste que vous sachiez ce qui arrive à notre monde. Maintenant, mon fils, parle-moi de l’attaque sur Pax Tharkas.
— Elle a échoué, répondit Gilthanas en baissant la tête.
— Raconte, dit simplement l’Orateur, le visage impassible.
— Je suis parti secrètement vers le sud avec mes guerriers. Tout allait bien. Un groupe d’humains réfugiés des Hautes-Portes est venu grossir nos rangs. La malchance nous a mis en travers du chemin des patrouilles draconiennes. Nous nous sommes tous battus comme des braves, mais en vain. J’ai été frappé à la tête, et je ne me souviens plus de rien. Je me suis réveillé au fond d’un ravin parmi les cadavres de mes camarades. Apparemment, les draconiens ont dû jeter les blessés avec les morts. Les druides de la forêt ont pansé mes blessures et m’ont appris que mes guerriers avaient été faits prisonniers. J’ai suivi à la trace l’armée draconienne, ce qui m’a conduit à Solace.
La voix de Gilthanas se brisa. Il essuya la sueur qui perlait à son front. Son père le regarda d’un air soucieux.
— Solace a été détruite, lâcha Gilthanas d’un trait. Tous les grands arbres ont été abattus ou brûlés.
Les elfes gémirent et se lamentèrent. L’Orateur leva la main pour demander le silence.
— Ce sont de tragiques nouvelles. Nous pleurons ces arbres immémoriaux. Mais que sont devenus les nôtres ?
— J’ai trouvé mes hommes et les humains qui nous avaient rejoints liés à des pieux au centre de la ville, et gardés par les draconiens. J’espérais pouvoir les libérer la nuit mais… Un dragon rouge est apparu dans le ciel. Oui, Orateur ! C’est la vérité ! Les monstres sont de retour en Krynn. Le dragon rouge a survolé Solace en tournoyant de plus en plus bas et s’est posé sur la place. Son corps luisant de reptile a envahi l’espace, ses ailes battaient les arbres et sa queue achevait de tout détruire. Des crocs écumant de bave hérissaient ses mâchoires et ses énormes pattes griffues labouraient le sol. Un homme le chevauchait.
« Son imposante carrure était drapée de la tunique noir et or des prêtres de la Reine des Ténèbres. Son visage portait le masque d’un dragon or et noir. Les draconiens sont tombés à genoux devant lui. Les gobelins, les hobgobelins et la pourriture humaine les mercenaires se sont prosternés devant le monstre ; certains ont pris la fuite. Seule la présence des miens m’a donné le courage de ne pas en faire autant.
« Certains prisonniers hurlaient de terreur, mais les nôtres sont restés calmes et dignes. Cela n’a pas plu au cavalier du dragon. Il les a harangués d’une voix d’outre-tombe. Ses paroles résonnent encore dans ma tête :
« Puis il s’est tourné vers les elfes et a poursuivi :
« Dans un rugissement, le dragon a soufflé sur les prisonniers ligotés aux pieux. Après une atroce agonie, ils sont morts brûlés…» Un silence accablé pesa sur la salle.
— Je fus pris de folie, poursuivit Gilthanas, les yeux enfiévrés. J’ai voulu rejoindre les miens quand une énorme main m’a agrippé et m’a tiré en arrière. C’était Théros Féral, le forgeron de Solace. « Ce n’est pas le moment de mourir, me dit-il, mais de te venger ! » Je me suis évanoui. Il m’a ramené chez lui au péril de sa vie. Et il l’aurait perdue, si cette femme ne l’avait pas guéri !
Du geste, il désigna Lunedor. Tous les visages se tournèrent vers elle.