— Bien sûr, la pierre est là, espérant que nous revenions la chercher, dit Elistan d’une voix faible. Quels fous avons-nous été ! J’aimerais avoir le temps de connaître tes dieux…
Lunedor parut aussi pâle que le mourant.
— Tu en auras le temps, dit-elle, prenant ses mains dans les siennes.
Tanis les regardait avec émotion quand il sentit une main se poser sur son épaule. Sturm et Caramon se tenaient derrière lui.
— Que se passe-t-il ? demanda le demi-elfe. Les gardes arrivent ?
— Pas encore, répondit Sturm, mais cela ne va pas tarder. Ebène et Gilthanas ont disparu.
La nuit était descendue sur Pax Tharkas.
De retour dans son antre, Pyros s’adonnait à sa manie d’aller et venir malgré les dimensions exiguës de l’endroit. Il finit par se calmer et s’étendit, la tête appuyée sur le sol, les yeux fixés sur la porte. Il ne remarqua pas les deux paires d’yeux qui le regardaient du haut du balcon supérieur.
On frappa à la porte. Deux gobelins apparurent, traînant une masse informe derrière eux.
— Un nain des ravins ! grogna Pyros. Verminaar a perdu la tête ! Il ne croit quand même pas que je vais manger ça !
Sestun se terra dans un coin et ne bougea plus. Les gobelins se hâtèrent de prendre congé. On frappa de nouveau à la porte. Pyros reconnut le signal ; ses yeux étincelèrent.
— Entre !
Une silhouette encapuchonnée se glissa dans l’antre.
— Conformément à tes ordres, je suis là, Ambre.
— C’est bon, répondit Pyros. Enlève ta capuche. J’aime bien regarder les gens en face.
Une exclamation étouffée lui parvint, venue des hauteurs. Pyros leva les yeux, se demandant s’il allait s’envoler pour voir de quoi il s’agissait. Mais le nouveau venu monopolisa son attention.
— Je dois faire vite, Majesté, pour qu’on ne remarque pas mon absence. De plus, je dois faire mon rapport au seigneur Verminaar.
— Chaque chose en son temps ! Dis-moi ce que manigancent les fous qui t’accompagnent.
— Ils projettent de faire évader les esclaves pour qu’ils se révoltent et forcent ainsi Verminaar à rappeler l’armée qui va envahir le Qualinesti.
— C’est tout ?
— Oui, Majesté. Maintenant il faut que j’avertisse le seigneur des Dragons.
— Bah ! Quelle importance ! Je me chargerai de mater les esclaves. À moins qu’ils ne complotent contre moi ?
— Non, Majesté, ils te craignent plus que tout. Pour libérer les enfants, ils attendent que le seigneur et toi soyez partis pour le Qualinesti. Ensuite, ils se réfugieront dans les collines, avant que vous soyez revenus.
— Ce plan n’honore pas leur intelligence. Ne t’inquiète pas pour Verminaar, il sera prévenu en temps utile. Il y a des affaires beaucoup plus importantes. Capitales même ! Écoute-moi bien : cet après-midi, cet imbécile de Toede a amené ici deux prisonniers, chuchota-t-il, les yeux brillants. C’est chose faite : nous
L’homme le regarda d’un air stupéfait.
— Es-tu certain que c’est lui ?
— Bien sûr ! Je l’ai vu dans mes rêves. Il est là, à portée de main ! Tout Krynn est à sa recherche, et c’est moi qui l’ai trouvé !
— Vas-tu en informer la Reine des Ténèbres ?
— Non, je ne veux pas prendre le risque d’envoyer un messager. Je lui livrerai l’homme en chair et en os, mais je ne peux le faire maintenant. Verminaar ne saurait se débrouiller seul avec le Qualinesti. Même si cette guerre n’est qu’une ruse, il faut sauver les apparences ; de toute façon, le monde se passera très bien de l’existence des elfes. Je conduirai l’Eternel chez la Reine quand le moment sera venu.
— Pourquoi m’en avoir parlé ? demanda l’homme d’une voix où pointait l’inquiétude.
— Parce que tu devras faire en sorte qu’il ne soit pas tué ! Les pouvoirs de la Reine des Ténèbres ont permis que la prêtresse de Mishakal et l’Homme à l’Émeraude se trouvent en même temps à ma portée. Je laisse à Verminaar le plaisir de s’occuper de la prêtresse et de ses amis. Tout s’annonce très bien ! À la faveur de la révolte, nous pourrons mettre la main sur l’Homme à l’Émeraude sans que Verminaar le sache ! Dès que les esclaves attaqueront, tu iras à sa recherche et tu l’enfermeras dans une salle du rez-de-chaussée. Quand les humains auront péri, et que l’armée aura rayé le Qualinesti de la carte, je livrerai l’Homme à l’Émeraude à la Reine des Ténèbres.
— J’ai compris, dit l’espion en s’inclinant. Quelle sera ma récompense ?
— Tu auras ce que tu mérites. Maintenant, laisse-moi.
L’homme rabattit son capuchon et se retira. Le dragon resta étendu, les yeux dans le vague. Seuls les gémissements de Sestun troublaient le silence.
Tass et Fizban, blottis dans l’ombre, avaient bien trop peur pour se risquer hors de la galerie.
— Je regrette d’avoir laissé échapper un cri, dit Tass d’un air contrit. Je n’ai pas pu me retenir. Même si je m’y attendais, il est dur d’être trahi par un camarade. Tu crois que le dragon m’a entendu ?
— On s’en moque, répondit Fizban. La question est de savoir ce que nous allons faire.