Il considéra Toede et ses prisonniers d’un air courroucé. Il savait que Toede les lui avait amenés pour se faire pardonner la perte désastreuse de la prêtresse, qu’il avait laissée s’échapper. Quand Verminaar avait appris qu’une femme correspondant au signalement de la prêtresse se trouvait parmi les prisonniers de Solace et qu’elle s’était enfuie, il était entré dans une colère noire. Toede aurait payé cette erreur de sa vie s’il n’avait fait jouer ses exceptionnels talents de flagorneur. Au début, Verminaar ne voulut plus entendre parler de l’abject hobgobelin. Sentant que tout n’allait pas pour le mieux dans le royaume, il s’était ravisé.
Il examina les prisonniers. Aucun des deux ne correspondait au signalement des visiteurs de Xak Tsaroth. Désappointé, il maugréa sous son masque.
Pyros eut une tout autre réaction. Le cou tendu, il serra le bord de la table avec une telle frénésie qu’il y laissa l’empreinte de ses ongles. Voulant dissimuler son excitation, il fit un effort démesuré pour prendre un air détaché. Mais ses prunelles de braise trahissaient son ardeur.
Un des prisonniers était le nain des ravins, Sestun. L’autre était un homme en haillons qui gardait les yeux baissés.
— Pourquoi m’amènes-tu ces déchets, Toede ? grogna Verminaar.
Toede, dont les bourrelets adipeux ballottaient de peur, se jeta éperdument dans les explications.
— Celui-ci, dit-il en donnant un coup de pied à Sestun, a aidé les esclaves de Solace à s’enfuir, et celui-là errait autour de Hautes-Portes, territoire interdit à quiconque est étranger à l’armée.
— Que veux-tu que j’en fasse, imbécile ? Qu’ils aillent rejoindre le reste de la racaille dans les mines !
— Je p…pensais q…que l’humain p…pouvait être un espion…
Le seigneur des Dragons examina l’homme en haillons avec attention. De haute taille, les cheveux blancs, le visage rasé et buriné, il devait bien avoir une cinquantaine d’années. Vêtu comme un mendiant, ce qu’il était probablement, pensa Verminaar avec dégoût, il ne présentait pas de signe particulier, n’était un regard jeune et franc. Ses mains aussi avaient un aspect juvénile. L’homme devait avoir du sang elfique…
— C’est un simple d’esprit, déclara Verminaar, en faisant un geste vers le prisonnier, qui restait bouche bée. On dirait un poisson échoué hors de l’eau.
— Je c…crois q…qu’il est sourd-muet, seigneur, dit Toede, en nage.
Verminaar fronça le nez. L’odeur répugnante du hobgobelin pénétra jusque sous son masque.
— Tu as réussi à capturer un nain des ravins et un espion sourd-muet ! Bravo, Toede, de mieux en mieux ! Maintenant, tu pourrais peut-être aller me cueillir un bouquet de fleurs !
— Comme il plaira à Son Excellence, répondit Toede, en s’inclinant avec onction et componction.
Verminaar éclata de rire malgré lui. Toede était somme toute assez amusant ; quel dommage qu’il sente si mauvais !
— Débarrasse-moi le plancher, Toede, ordonna le seigneur. Le nain des ravins fera un excellent dîner pour Ambre. Quant à ton espion, envoie-le à la mine, mais garde l’œil sur lui, il a vraiment l’air redoutable !
Verminaar quitta son trône et rejoignit sa table de travail, où il rangea ses cartes. Il interpella Pyros :
— Occupe-toi de transmettre les ordres. Nous nous envolerons demain matin pour le Qualinesti, que nous anéantirons. Sois prêt quand je t’appellerai.
Les portes de bronze claquèrent derrière le seigneur des Dragons. Pyros se leva et arpenta la pièce de long en large, s’énervant quand on frappa à la porte.
— Le seigneur Verminaar s’est retiré ! vociféra-t-il, furieux d’être dérangé.
La porte s’ouvrit.
— C’est toi que je voulais voir, Majesté, chuchota un draconien en entrant.
— Bon ! Mais dépêche-toi !
— Notre espion a réussi, Majesté, dit le draconien. Il est parvenu à s’échapper un moment sans attirer l’attention. Mais il a dit que la prêtresse…
— Au diable la prêtresse ! grogna Pyros. Cette nouvelle n’intéresse que Verminaar ! Va le lui dire. Non, attends un instant…
— Je suis venu te le dire d’abord, comme convenu, répondit le draconien, prêt à se retirer.
— Reste ici, ordonna le dragon. Après tout, cette nouvelle n’est pas sans intérêt pour moi. Il y a d’autres choses en jeu… Je vais rencontrer notre
Le draconien s’inclina et quitta la pièce. Pyros reprit ses allées et venues, méditant sur ces heureuses circonstances.
11
La parabole de la gemme. Le traître démasqué. Le dilemme de Tass.
— Nous voilà arrivés au-dessus de la salle du trône, constata joyeusement Tass. Cet escalier y descend. L’endroit doit fourmiller de gardes draconiens !
Il colla son oreille à la porte et guetta les bruits. Rassuré, il poussa les deux battants.