Le vieillard tourna les talons et se précipita dans le tunnel, sourire aux lèvres. Sestun considéra Tass d’un air ahuri, puis ses yeux se dilatèrent de frayeur : des griffes acérées s’étaient abattues sur le mur, qu’elles pulvérisèrent. Sans hésiter, le nain et le kender coururent rejoindre Fizban, qui avait déjà atteint la première dent du rouage.
Tass reprit espoir. Ils pouvaient s’en sortir si l’elfe noire qui montait la garde au bout de la chaîne était partie faire un tour. Mais la gueule gigantesque de Pyros, qui s’était frayé un chemin en démolissant toutes les cloisons, apparut au-dessus d’eux. Des pans de murs s’effondrèrent dans un fracas épouvantable. Tout le mécanisme se mit à trembler.
Rassemblant son souffle, le dragon prit une telle aspiration que l’air sembla se raréfier. Tass ferma les yeux, mais les rouvrit de suite. Il ne fallait pas manquer cette occasion – peut-être la dernière – de voir un dragon cracher le feu.
Les flammes atteignirent la chaîne, qui devint vite incandescente. Pyros continua de souffler jusqu’à ce que les maillons fondent. Une violente secousse ébranla la chaîne, puis elle se brisa et disparut dans les profondeurs.
Pyros contempla son œuvre d’un œil satisfait. Ceux-là ne parleraient plus. Il retourna dans son antre, où l’attendait Verminaar, toujours fulminant.
Dans l’obscurité que le dragon laissait derrière lui, la roue, libérée de la chaîne pour la première fois, se mit à tourner en grinçant.
13
Matafleur. L’épée magique. Plumes blanches.
À la lueur de la torche de Maritta, les compagnons découvrirent une grande salle que l’immense corps du dragon emplissait presque entièrement. Tanis, qui jugeait déjà le monstre de Xak Tsaroth énorme, trouva celui-ci gigantesque. Maritta semblait parfaitement à l’aise et avançait avec assurance. Après un instant d’hésitation, les compagnons lui emboîtèrent le pas. La bête, usée par les années, était réellement mal en point. Ses écailles étaient devenues rougeâtres, ses crocs jaunes et cariés. Ses ailes desséchées battaient ses flancs lardés de cicatrices au rythme d’un souffle rauque.
Tanis comprit la pitié que le vieux monstre inspirait à Maritta. Mais il reprit conscience du danger lorsque la créature remua dans son sommeil. Ses griffes restaient redoutables et son souffle aussi destructeur que ceux des autres dragons de Krynn.
— C’est déjà l’heure ? demanda Matafleur d’une voix ensommeillée.
Flamme était le nom que seuls lui donnaient les simples mortels.
— Il est encore tôt, répondit Maritta avec douceur, mais je voudrais que les enfants sortent avant l’orage. Rendors-toi, je m’assurerai qu’ils ne te réveillent pas.
La créature entrouvrit les paupières. Les compagnons constatèrent qu’elle était borgne.
— J’espère que nous n’aurons pas à la combattre, dit Sturm à Tanis. J’aurais l’impression d’attaquer une grand-mère.
— Soit, mais une
— Les petits ont passé une bonne nuit, murmura Matafleur. Assure-toi qu’ils ne soient pas mouillés par la pluie, Maritta, surtout le petit Erik. Il a eu un rhume la semaine dernière.
Matafleur ferma les yeux et s’assoupit. Un doigt sur les lèvres, Maritta fit signe aux compagnons de la suivre. Parvenu à trente pas du dragon, Tanis, qui fermait la marche, perçut une sorte de bourdonnement. Il l’attribua tout d’abord à sa nervosité, mais le bruit amplifia, rappelant celui d’un essaim d’abeilles. Tous le regardèrent avec étonnement.
La créature poussa un grognement et secoua la tête comme si elle avait mal. Raistlin se précipita vers le demi-elfe.
— L’épée !
Il souleva la cape de Tanis et dévoila l’arme. Le mage avait raison. C’était l’épée qui bourdonnait. Était-ce un signal ?
— Elle est enchantée, constata Raistlin avec intérêt. Je me souviens, maintenant… Il doit s’agir de Tranche-dragon, la fameuse épée de Kith-Kanan. Elle réagit dès qu’elle est en présence de ces monstres.
— Il est grand temps que tu t’en souviennes !
— Mieux vaut tard que jamais, persifla Sturm, il a choisi le moment propice !
Matafleur avait lentement relevé la tête. Ses naseaux fumaient ; ses yeux écarlates se dardèrent sur Tanis.
— Qui as-tu amené avec toi, Maritta ? demanda-t-elle d’un ton menaçant. J’entends un bruit que je n’ai plus ouï depuis des siècles et je sens l’infecte odeur de l’acier ! Ce ne sont pas des femmes qui t’accompagnent, mais des guerriers !
— Tanis, ne lui fais pas de mal, gémit Maritta.
— Il ne me reste rien d’autre à tenter ! répliqua Tanis. Rivebise et Lunedor, éloignez Maritta !
La lame s’auréola d’une lumière blanche et le bourdonnement se fit menaçant. Aveuglée par la lumière, assourdie par le bruit, Matafleur recula.
— Vite ! Allez chercher les enfants ! vociféra Tanis.
Maritta et les compagnons mirent quelques instants à ramener les enfants. Dûment chapitrés, ils savaient ce qu’on attendait d’eux, mais ils regrettaient d’abandonner leur amie. À la vue du groupe, les yeux de Matafleur s’emplirent de haine.