Cirus accompagnait l'attitude paternelle avec le même esprit de ferveur et de détermination, désireux de protester contre cette prière, démontrant aussi préférer le sacrifice ; mais le libéré continuait entre les larmes mal contenues, s'adressant au tribun qui l'écoutait éminemment impressionné :
Sachez, Maître que je suis au courant du passé amer et pénible et je lamente beaucoup l'attitude de mon fils dans votre maison d'Antipatris !... Je vous demande pardon pour les tourments causés par sa jeunesse !... Mon pauvre Cirus a obéi à l'impulsion du cœur, sans écouter la raison qui aurait dû le conseiller, mais dans la désolation de ces sombres cachots, il a donné sa parole, s'il retrouvait la liberté, de ne jamais plus lever les yeux sur l'enfant adorable qui est un archange du ciel au sein de votre foyer... Si vous l'exigez, Maître, Cirus quittera Rome pour toujours, de sorte à ne jamais plus déranger votre bonheur domestique !...
Mais l'expression d'Helvidius Lucius se durcit comme s'il avait pris une décision implacable.
De la générosité la plus pure, il était passé au refus le plus violent en présence de son ex-captif d'Antipatris dont il ne pourrait jamais tolérer les principes.
Nestor - s'exclama-t-il sur un ton presque rude -, tu sais toute l'affection que je te porte, mais jamais je ne t'aurais supposé chrétien et conspirateur, encore moins aurais-je pu imaginer que tu pouvais engendrer un être comme celui-là. Comme tu le vois, je ne peux intervenir en faveur de vous deux... Certains arbres meurent, parfois, de la pourriture de leurs propres branches !... Je suis venu ici pour t'aider, mais je trouve une réalité qui m'est intolérable. Aussi, préférerai-je vous oublier le plus vite possible.
Maître... - murmura encore l'affranchi comme s'il désirait retenir son amitié en lui demandant pardon et mourir avec la certitude que le tribun avait sincèrement reconnu ses remerciements.
Mais Helvidius Lucius lança à tous deux un regard affecté et ajustant sa toge pour se retirer immédiatement, il s'est exclamé impulsivement :
C'est impossible !
Une fois cela dit, il tourna le dos aux prisonniers et appelant les deux gardes qui l'accompagnaient, il s'est retiré de façon précipitée, alors que les deux condamnés gardaient leur regard fixé à sa silhouette ferme et austère et tendaient l'oreille pour écouter le bruit de ses pas qui s'éloignaient sur les dalles de la prison, comme s'ils percevaient, pour la dernière fois, l'espoir qui pourrait les reconduire à la liberté.
Nestor étouffait, mais le flot de ses larmes débordait de ses yeux pour atténuer sa douleur, alors que Cirus se jetait à ses pieds, lui baisant les mains, il murmura :
Mon père ! Mon père!...
Tous deux auraient voulu retourner voir l'éblouissant soleil de la vie, sentir les émotions de la nature, mais l'ambiance étouffée de la prison les asphyxiait.
Toutefois, le lendemain après-midi, Sixtus Plocius, recevait l'ordre de la justice impériale de séparer les treize prisonniers destinés à l'exil perpétuel, réunissant les autres dans une cellule moins triste et plus spacieuse.
Les deux affranchis ont été retirés du cachot où ils se trouvaient et ont été transportés auprès des autres condamnés.
Leur nouvelle cellule se trouvait aussi dans la partie souterraine, mais sur l'un des murs on pouvait voir le ciel à travers des barreaux renforcés.
Le crépuscule venu déversant sur la ville ses encres merveilleuses, tous ces cœurs tourmentés contemplaient les maisons à l'horizon, pris d'une joie infinie.
Au loin, au firmament, les premières étoiles s'allumaient sous la voûte toute bleue !...
Polycarpe, le vénérable prêcheur de la porte Nomentane, transporté de l'Esquilin au Capitole afin de se trouver avec ses compagnons, traça dans l'air une croix de sa main rugueuse et ridée... Alors, tous ses frères de foi, parmi lesquels étaient quelques femmes, se prosternèrent et contemplant le ciel romain beau et constellé, se mirent à chanter des hymnes de dévotion et de joie. Des espoirs versifiés qui devaient monter à Jésus, traduisant l'amour et la confiance de ces cœurs résignés qui vivaient ivres des douces promesses de son Royaume...
Petit à petit, les voix s'élevaient harmonieuses et argentines prononçant des strophes d'hosanna et d'espoir ! Des êtres spirituels, imperceptibles, s'agenouillaient auprès des condamnés et le doux écho des cithares de l'invisible arrivait à leurs oreilles...
Alors, quelques prétoriens qui montaient la garde, entendant leurs cantiques de foi, ont comparé la voix de ces cœurs angoissés à des hoquets de rossignols poignardés en plein clair de lune dans l'immensité de l'espace infini.
Pendant que les prisonniers attendaient le jour réservé au sacrifice, accompagnons nos personnages dans le déroulement de leur vie quotidienne.
Après une visite à Tibur, Aelius Hadrien voulant se certifier de la précieuse collaboration d'Helvidius Lucius dans ses extravagantes constructions, l'invita à lui rendre visite avec sa famille pour lui témoigner sa reconnaissance.