« Un ancien flic. Tu es Turk Findley, pas vrai ? Le fils du propriétaire ? » Le gamin ne répondit pas, mais qu’il garde le silence sans marquer de surprise valait confirmation. « Je veux juste que toi et moi, on reparte d’ici par où on est venus. Quoi que tu aies l’intention de faire, ce n’est pas possible. Pas ce soir. »
La pluie dégoulinant des cheveux bruns trempés du gamin passait sous le col de son poncho. Il regarda Bose dans le déluge, puis dit d’une petite voix éteinte : « Derrière vous.
— Hein ?
— Ils sont derrière vous. »
Le gamin s’accroupit précipitamment. Bose l’imita. Il risqua un coup d’œil par-dessus son épaule. Deux hommes arrivaient dans l’allée, spectraux dans la pluie. Ils n’avaient pas encore vu Bose ou Turk, qu’un angle masquait, mais ne manqueraient pas de le faire en continuant dans la même direction.
La réaction de Bose sembla rassurer Turk. « Par ici. »
Bose n’eut d’autre choix que de le suivre dans la ruelle, où on les verrait sûrement… sauf qu’il y avait un espace étroit entre une benne à ordures en métal vert et le bord d’un quai de chargement, un espace juste assez grand pour qu’ils se glissent l’un et l’autre à l’intérieur. Bose essaya de bien voir ce qui l’entourait pendant l’instant où il n’était plus caché. Les quais de l’entrepôt Findley se trouvaient juste un peu plus loin. Trois automobiles étaient garées dans l’allée et une anonyme camionnette blanche était plaquée à l’un d’eux. La porte correspondante avait été remontée, ce qui projetait un rectangle de lumière dans l’obscurité. Bose essaya de photographier mentalement la scène, de calculer les distances relatives et de repérer les itinéraires de fuite possibles. Il s’accroupit ensuite près de Turk, qui tremblait comme un chien mouillé.
Les deux gardes arrivèrent dans l’allée, à découvert. Bose entraperçut leurs imperméables jaunes quand ils passèrent près de la benne en revenant vers le quai de chargement occupé. Pour Bose, la présence de la camionnette expliquait ce qui se passait à l’entrepôt : Findley avait pris peur et supprimait toute trace de contrebande. L’arrière de la camionnette laissait voir des piles de cartons qui montaient jusqu’au plafond – sans doute des produits chimiques venus du Liban ou de Syrie et destinés aux bioréacteurs de marché noir.
Bose décida de mieux voir. Il s’allongea sur le goudron mouillé, mais encore tiède après la canicule de la journée et d’où montait une odeur d’animal trempé d’huile. Il rampa pour sortir la tête et jeter un coup d’œil. Il n’avait d’autre camouflage que ses cheveux et sa peau noirs.
Il regarda attentivement l’homme en train de superviser le chargement, un quinquagénaire à la mine défaite qui tenait une torche électrique à la main. Bose l’identifia comme Findley senior. « Ton père est là, chuchota-t-il.
— Vous connaissez mon père ? demanda le gamin au bout d’un moment.
— Je l’ai reconnu en le voyant.
— Vous allez l’arrêter ?
— J’aimerais bien. Sauf que je ne suis plus flic. Je ne peux arrêter personne.
— Mais qu’est-ce que vous faites là, alors ?
— J’aide un ami. Et toi, tu fais quoi, ici ? »
Pas de réponse.
Bose s’apprêtait à suggérer qu’ils essayent de repartir comme ils étaient venus, malgré les risques, quand une quatrième automobile vint s’arrêter près de la camionnette. Son conducteur sortit, grimpa sur le béton du quai et s’approcha de Findley, qui le regarda d’un air de dire
Bose consulta sa montre. Le bus suivant avait dû arriver quelques minutes auparavant.
Findley père grimpa dans une voiture avec un de ses gardes. L’automobile sortit de l’allée en éclaboussant Bose et Turk toujours tapis dans l’ombre. Bose vit le gamin cligner des yeux devant les rides laissées par les pneus dans la couche d’eau qui recouvrait la chaussée, conscient que son père venait de passer à un mètre de lui. La plus grande partie de la rage qui l’avait conduit jusque-là semblait n’être plus que confusion.
D’autres pas dans l’allée derrière eux : les sentinelles qui revenaient.
« Il faut qu’on sorte d’ici », dit Bose. Il ajouta : « On pourrait avoir besoin d’une diversion. »
Le gamin tourna vers lui un visage presque larmoyant. « De quoi vous parlez ? Quelle diversion ?
— Tu n’aurais pas apporté un liquide inflammable, par hasard ? »
28
Récit d’Allison