Extérieurement, le véhicule ressemble à un camion militaire de l'armée de Sa Majesté. Il est carré de lignes et peint en verdâtre. C'est de la bagnole robuste, tout-terrain. On peut traverser soit le désert de Libye, soit le Grand Nord avec ce machin-là. Y a des boudins de tracteur. Les vitres dépolies sont étroites et munies de barreaux. Bref, c'est rébarbatif et faut bien être une petite intrépide comme Valérie pour partir en vacances avec un tank pareil. Seulement, dès qu'elle a ouvert la lourde et actionné la lumière, tout change. Cet écrin morose est capitonné de satin. La transition est spectaculaire. Je pénètre dans une minuscule boîte à bijoux. Une bonbonnière, comme disent les gens qui essaient de poétiser l'exiguïté de leur logement. C'est tendu de feutrine rouge. Deux minuscules canapés-lits recouverts de soie bleu pâle sont alignés contre les parois. La petite commode du fond est en réalité une salle d'eau et un esprit inventif a logé une cuisine complète dans l'épaisseur des portes. C'est beau, l'ingéniosité. Dans le fond la plupart des hommes occupent trop de place. Il suffit de pénétrer dans le carrosse de la môme Valérie pour en être convaincu. On va de plus en plus vers une utilisation minutieuse de l'espace vital (comme dirait Jean-Jacques). L'homme, en se multipliant, réalise à quel point elle est petite sa planète. Avant de s'expanser dans les étoiles ou de se bombiner la frite à l'hydrogène ou au troubarium en branche, il essaie la solution d'attente, celle qui consiste à minusculiser les porcifs. Le rationnement du terrain, quoi ! Tous unis par l'alvéole, comme je vous le causais dans un ouvrage précédent.
Alors l'homme il s'étage, se clapière, se cellule. Il essaie de se faire durer, quoi. Il s'empile ; se sardine, se fait maigrir pour gagner de la place et par conséquent du temps. L'univers ça va devenir un charnier vivant, si j'ose dire. Ça grouillera vilain dans quelques années. Et ça grouillera jaune, ça grouillera noir. Cette partie de frotti-frotta, ma douleur ! On assure toujours que le Français, après l'amour, il rentre chez lui ; mais là il pourra même plus sortir de chez sa maîtresse ! Le zig qui parviendra à prendre le léger recul nécessaire à la copulation sera pour toujours pris au piège. La fidélité intégrale et obligatoire, je vous la prophétise.
— Entrez, invite la ravissante voyageuse.
J'obéis. Sa calèche sent bon la jolie femme. C'est capiteux, ça pousse au frisson, ça fait vibrer le trémoleur à injection directe surcompensé. Je m'installe sur un canapé.
— Vodka, whisky? questionne-t-elle en démasquant un petit bar encastré dans le manche de sa brosse à dents.
— Vodka, c'est une bonne idée.
Elle me file une rasade pour déménageur.
— C'est de la polonaise, elle est poivrée.
Je me dis dans mon for intérieur que l'essentiel est que la charmante hôtesse ne le soit pas. Salée, je veux bien, car il est passionnant de dessaler une gamine de son gabarit.
Sagement, elle s'octroie un jus de fruit.
— Je me suis suffisamment alcoolisée avec le Champagne, s'excuse la douce enfant, je dois songer à ma ligne.
Je la convoite en me disant que dans moins d'un instant il y aura quelqu'un de branché sur sa ligne.
— Vous êtes une fille étonnante, Valérie ! attaqué-je.
Je pense en effet que le moment de passer à l'action est arrivé. Le bla-bla préalable, c'est comme les préfaces des bouquins, les frangines n'y font presque pas attention. J'ai hâte d'entrer dans le vif du sujet. Et ce sujet possède tout ce qu'il faut pour qu'on n'ait pas envie d'entrer à la Trappe, croyez-moi.
— Vous permettez que j'aille m'asseoir près de vous, ma ravissante?
— Je vous en prie, elle susurre.
Je me lève pour traverser le fourgon. Et c'est alors qu'un sale vertige me chope par l'arrière du trognon. On dirait qu'une grande paluche préhensile vient de me saisir le cerveau. Je perds tout réflexe, toute volonté. Mon intelligence se répand sur la moquette comme les perlouzes d'un collier dont on a rompu le fil.
CHAPITRE XI
Il m'est arrivé souvent de perdre conscience, vous le savez. Un héros de romans policiers perd fatalement conscience. C'est une concession à la faiblesse que lui consent l'auteur. A noter que cette perte de conscience sert d'ellipse dans bien des cas. Ça permet au pisseur de copie de déclarer, lorsque son superman sort du sirop qu'il s'est passé ceci cela plus autre chose pendant ce temps mort. Il y a des poncifs qu'on doit respecter lorsqu'on a entrepris de distraire ses contemporains.