Ma chatte ch'erie. Il me semble qu’il y a des si`ecles que nous nous sommes quitt'es. Ah, quel ennuyeux plaisir que le voyage. Me voil`a `a Dresde depuis hier et je n’y suis venu que pour l’acquit de ma conscience. Hier cependant, en arrivant ici, j’'etais dans une disposition tout `a fait sentimentale et qui avait je ne sais quel air de r^eve. Dresde est un endroit auquel je rattachais des souvenirs qui me sont bien chers et qui me sont devenus plus personnels que les miens propres. C’est ici que tu es n'ee, et cette petite circonstance qui alors 'etait si 'etrang`ere `a ma destin'ee, devait en devenir tout le fond et `a la m^eme 'epoque une autre existence, un autre pass'e… Mais tr^eve de souvenirs. Cela grise comme de l’opium et fait avorter une lettre d`es le d'ebut. Ce qui a pu contribuer `a me sentimentaliser, c’est la mani`ere toute particuli`ere dont le mouvement de la voiture `a vapeur agace les nerfs… Mais voyons. T^achons de prendre le ton narratif… J’ai quitt'e Weimar le 24, demandant mentalement pardon aux Maltitz d’avoir 'et'e injuste envers eux par l’effet de l’ennui — la veille encore ils m’ont fait d^iner avec la belle-fille de Goethe* qui, malgr'e sa laideur et ses boucles grises, et une dose passable d’affectation, m’a assez plu. Il est vrai que mes premi`eres impressions sont presque toujours d’une indulgence extr^eme. Si elles avaient de la dur'ee, cela tournerait `a la charit'e.
A Leipsick je suis tomb'e dans un gouffre d’hommes, de boutiques, de marchandises. C’'etait la seconde semaine de la foire, c’est-`a-d