De Leipsick je suis parti sur le chemin de fer `a trois heures de l’apr`es-midi et suis arriv'e ici `a 7 h. C’est une distance de 16 m, la m^eme qu’entre Ratisbonne et Munich. Il faut convenir que cette vapeur est une grande magicienne, et il y a des moments o`u le mouvement est si rapide, si d'evorant, o`u l’espace est compl`etement vaincu, supprim'e qu’il est difficile de ne pas 'eprouver un petit sentiment d’orgueil. Arriv'e `a Dresde j’ai pu le m^eme soir encore aller au th'e^atre et j’y suis all'e moins pour mon plaisir que pour en faire honneur au chemin de fer.
Dresde n’a pas beaucoup pris le grandiose de Prague, mais la vue sur l’Elbe de la terrasse de Br"uhl est charmante, c’est-`a-d serait charmante, si tu 'etais l`a. H'elas, ce n’est pas un compliment que je te fais, en parlant ainsi, c’est tout bonnement l’aveu de mon impuissance d’exister par moi-m^eme.
Ce matin je me suis mis en r`egle avec la galerie de tableaux, puis j’ai 'et'e voir Schr"oder*, notre M `a Dresde qui m’a retenu `a d^iner. Ce pauvre Schr"oder est certainement un des mortels les plus nuls et les plus insipides que j’ai rencontr'es. Il y a l`a un malheureux secr'etaire qui est son souffre-douleur et qui m’a ait fr'emir par le retour qu’il m’a fait faire sur moi-m^eme. Car enfin la destin'ee de cette pauvre cr'eature aurait pu ^etre la mienne. J’ai trouv'e aussi `a Dresde une colonie de Russes, tous de mes parents et amis, mais de parents, que je n’ai pas vu depuis 20 ans, et des amis dont je ne savais plus le nom. Cela m’a valu encore quelques impressions peu agr'eables. Il y a l`a entr’autres ma cousine que j’ai connue enfant et que j’ai retrouv'ee vieille femme. C’est la soeur d’un de ces malheureux exil'es en Sib'erie qui a fait le mariage romanesque avec une jeune Francaise o`u j’ai eu quelque part. Eh bien, ce fr`ere est mort, sa femme est morte, son p`ere, sa m`ere sont morts, tout est mort, et la cousine en question se meurt aussi de la poitrine*.
Ah, qu’il me tarde de te revoir! Aussi je veux partir demain, en repassant par Leipsick, et j’esp`ere, Dieu aidant, ^etre pr`es de toi dimanche prochain. Mais, si par hasard j’arrivais un jour ou deux plus tard, ne t’en inqui`etes nullement. Comme je ne suis pas s^ur de pouvoir aller tout d’une traite jusqu’`a Munich, je coucherai peut-^etre une fois en route.
Aie soin aussi, ma chatte, que je trouve quelques lignes de toi `a Augsbourg, car il est possible que c’est par ce c^ot'e-l`a que j’arrive. Adieu. Je me sens trop nerveux pour continuer `a 'ecrire. Embrasse les enfants. A toi de coeur.
ПереводДрезден. 27 сентября