Béru est un martyr plein de courage et d'abnégation. Il a fait le deuil de sa vie, si je puis dire, avec un maximum de simplicité.
— Mes chers vous tous, harangue-t-il d'une voix forte, je vous remercie d'être venus si nombreux me témoignasser votre sympathie et me présenter vos condoléances à propos de la perte cruelle que je vais subir incessamment. C'est dur de laisser une femme aimée, des amis sincères, le beaujolais nouveau, Paris et ses bistrots.
Il décompresse longuement avant de poursuivre.
— Oui, c'est dur de disparaître à la fleur de l'âge, mais quand la France commande, comme dit mon Directeurs c'est pas la peine d'élucider et faut répondre présent.
De graves hochements de tête lui répondent.
— Je compte sur vous tous, reprend le Héros, pour distraire ma chère veuve que voilà !
En entendant ces tristes paroles, Berthe fond en larmes visqueuses. Elle hoquette : que c'est horrible, que c'est terrible, que c'est pas permis, que la vie est triste, que la vie est bête, que la vie est ignoble, que Béru a été un bon compagnon, que lorsqu'on perd sa compagnie on a tout perdu (comme disait un capitaine), que ce sont les meilleurs qui s'en vont, que : est-ce qu'elle aura droit à une pension ? Que, si oui, de combien ?
On la calme, on la rembrasse et Béru poursuit :
— C'est surtout à Alfred que je m'adresse. Berthe est une personne de tempérament dont à laquelle il faut pas lui en promettre, mais lui en donner. C'est pas parce que j'aurai déclaré forfait qu'elle devra s'étioler dans ses crêpes, la pauvre grande. Sa vie à elle continuera et j'espère qu’elle en profitera bien, ce qui ne l'empêchera pas de faire une bise à ma photo de temps en temps. Je sais qu'une veuve excite moins qu'une femme marrida vu qu'il n'y a personne à encorner à la clé, pourtant les aminches devront se comporter comme si je serais encore là, vu ?
Les assistants approuvent tristement.
— Merci, balbutie la Berthe, t'es bon tu sais, Alexandre-Benoît.
Il modestise des yeux et des épaules et reprend :
— Naturellement, j'ai fait mon testament. Re-naturellement, je laisse mes biens à ma chère veuve. Pourtant, y a des bricoles que je voudrais répartir à mes potes et parents en souvenir.
Il sort une feuille de papier hygiénique de sa poche et lit :
On le congratule. Chacun reçoit séance tenante son legs avec l'impression de participer au tirage d'une tombola.
Il y a dislocation du cortège. Félix, le beau frère, un grand zig à la poitrine creuse et à la tête de microbe, demande de l'aide pour redescendre le catafalque sur lequel gît sa bonne-femme, une monstrueuse rombière mafflue, qui parle comme on bave et bave comme on défèque.