Il essaya de se lever mais son corps ne lui obéit pas, englué dans sa propre inertie. Un rayon de lumière ténu se coulait par l’étroite ouverture du centre de la voûte et plaquait un vernis laiteux sur le pan incurvé d’un mur de soutènement. Il parvint à tourner la tête et à distinguer, quelques pas derrière lui, une bouche arrondie et tendue d’une obscurité opaque impénétrable. Il avait la certitude quasi biologique d’avoir parcouru une distance gigantesque, et pourtant il lui semblait se retrouver simplement de l’autre côté de la porte qu’il avait passée quelques instants – heures, jours – plus tôt.
Le visage plein de Mael lui effleura l’esprit et, pour la première fois depuis qu’ils s’étaient séparés dans le grenier du silo, il souffrit du manque de sa sœur, il fut étreint par une envie bouleversante de la rejoindre par-delà les gouffres qui continuaient de se creuser entre eux. Il lui devait ses seuls vrais moments de joie dans une existence rythmée par les travaux du mathelle et la fréquence de ses crises. Ni l’affection d’Orchale, ni l’amitié de quelques permanents, ni les menus plaisirs glanés dans l’atelier de poterie n’avaient réussi aussi bien qu’elle à le distraire de cette mélancolie omniprésente, sous-jacente, qui l’imprégnait comme l’eau d’une source froide, amère, intarissable. Maintenant que Mael n’était plus, qui d’autre pourrait apporter un peu de clarté, un peu de chaleur dans sa grisaille perpétuelle ? Son désir confus pour Ezlinn la ventresec n’avait été qu’une tentative absurde, vouée à l’échec, de ranimer les instants de trêve, de grâce, qu’il avait vécus dans le rayonnement de sa sœur.
Le jour se levait lorsqu’il put enfin se mettre debout. Un flot éblouissant s’engouffrait par l’ouverture du centre de la voûte et révélait la forme parfaitement circulaire de la pièce enterrée. Il dévoilait également des reliefs qui longeaient en partie les murs et qui ressemblaient à des bancs. La taille et la disposition parfaite des pierres, ajustées sans la moindre trace de mortier, indiquaient un savoir-faire différent de celui des mathelles mais tout aussi évolué, peut-être même davantage. Seules les herbes folles et les plaques verdâtres de moisissure qui recouvraient la terre par endroits trahissaient une certaine négligence, voire un abandon pur et simple. Le froid intense émanait de la bouche dont l’obscurité restait totalement imperméable à la lumière du jour.
Orchéron ne remarqua pas d’autre issue que la trappe du milieu de la voûte, perchée à une hauteur équivalente à quatre hommes. Il découvrit dans une touffe d’herbe les débris rougeâtres de ce qui avait probablement été une échelle. Le matériau, qu’il ne connaissait pas, avait à peu près la même consistance au toucher que l’habillage gris du tunnel du bord des grandes eaux. Son aspect lisse, premier, apparaissait par endroits sous la substance rougeâtre et colorante qui évoquait ces maladies de peau provoquées par les allergies au pollen.
Son mauvais état rendait en tout cas l’échelle inutilisable. De même, ni les murs ni la voûte ne présentaient d’aspérités, de chevrons ou de ces pièces de renforcement qu’utilisaient les maçons des domaines, et ils étaient de ce fait impossibles à escalader. Il tardait pourtant à Orchéron de se réchauffer aux rayons de Jael. Il chercha fébrilement un moyen de sortir de cette cave, ne trouva pas d’autre solution que de desceller les pierres du mur de soutènement à l’aide de son couteau de corne, puis de les assembler au milieu et de grimper sur le tas une fois qu’il serait suffisamment haut pour lui permettre d’agripper les bords de la trappe. Il se mit à la tâche, conscient qu’elle lui prendrait une grande partie de la journée.
La construction reposant entièrement sur l’agencement des pierres entre elles, la première s’avéra la plus difficile à desceller. L’ouvrage des bâtiments des domaines, lié par de la terre et de la paille broyée, paraissait grossier en comparaison de cette maçonnerie sèche où pas un espace n’était vide, où chaque élément semblait occuper sa juste place. Il avait fallu une patience et une opiniâtreté de tous les instants à ceux qui l’avaient édifiée, et Orchéron avait l’impression détestable de saccager un chef-d’œuvre, de rayer de quelques coups de couteau des années et des années d’un travail magistral. Si la majeure partie des pierres utilisées étaient opaques et de couleur jaune, quelques-unes, translucides et sillonnées de veines brunes, ressemblaient aux rochers du bord des grandes eaux.
La lumière peina rapidement à transpercer une poussière dense irrespirable. Orchéron avait beau se démener comme un démon, l’amas s’élevait avec une lenteur exaspérante, d’autant qu’il lui fallait prévoir une base suffisamment large pour lui assurer un minimum de stabilité. Des ruisseaux d’une terre sèche et rougeâtre s’écoulaient de la brèche du mur de soutènement et s’écrasaient en flaques épaisses sur le sol.