C’est ainsi qu’Alma avait reçu sa première communication. Gaella la folle en avait parfaitement décrit le mode : le Qval ne lui avait pas parlé, elle avait perçu une sorte de rumeur au fond d’elle qui s’organisait en suggestions cohérentes, en phrases, en langage. Elle avait voulu remonter une mèche agaçante qui lui barrait le front. Ses cheveux lui étaient restés dans la main. Ils s’en allaient par poignées entières, comme les vieilles plumes de nanzier à la fin de l’amaya de glace. L’image du corps déplumé d’un grand volatile lui avait effleuré l’esprit et elle avait éclaté de rire. Puis elle s’était passé la main sur le crâne et rendu compte qu’il s’était considérablement dégarni. Il lui avait fallu un peu de temps pour accepter de perdre ce qu’elle estimait être le seul fleuron de sa féminité.
Personne n’est là pour te regarder. Oui, mais si un jour je sors de cet endroit… Ils auront repoussé. Et s’ils ne repoussent pas ? Tu mettras un bonnet, un foulard, idiote. Et puis est-ce que les hommes t’ont un jour regardée ? Il suffirait que l’un d’eux… Tu n’existes pas uniquement par le regard des autres ! C’est vrai, mais c’est agréable, je suppose, de se sentir désirée. Celle qui se définit par les seuls désirs s’éloigne du sentier de Djema.
L’intervention du Qval l’avait pétrifiée. Il lisait donc dans ses pensées, il s’invitait en clandestin dans ses cogitations, elle n’avait plus de secrets pour lui, il pouvait profaner comme bon lui semblait son esprit qu’elle avait toujours considéré comme le dernier refuge de sa liberté, le bastion inviolable où n’avait jamais pu la suivre sa mère ni aucune autre personne de son entourage.
Déstabilisée, elle avait pris peur, fermé la porte puisqu’on l’y invitait, et s’était claquemurée dans une bouderie maussade – et puérile – qui avait orienté ses pensées vers Zmera et ses sœurs du conventuel de Chaudeterre. Elle avait pris conscience qu’elles étaient mortes, une certitude, une sensation de désolation froide qu’elle avait en partie évacuée par ses larmes. Elle avait perdu ses deux familles d’un seul coup, celle de la chair et celle de l’esprit. Elle n’éprouvait plus pour Zmera cette haine sourde qui avait été longtemps sa seule source de vie, mais un amour apaisé, baigné de gratitude. Sa mère avait joué son rôle, un rôle ingrat et probablement désespérant, dans les desseins de l’ordre invisible, c’était maintenant à elle, sa fille, de jouer le sien, de trancher les liens, de se libérer définitivement du passé. De replonger si nécessaire dans l’eau bouillante.
Qu’est-ce que je dois faire maintenant ?
Qu’est-ce que vous attendez de moi ?
Es-tu… êtes-vous Qval Djema ?