Elle avait observé attentivement l’eau claire et fumante après avoir posé cette question, mais la forme sombre, à peine perceptible sous les frémissements, n’avait pas daigné bouger ni répondre. Elle avait ravalé sa déception et adopté machinalement la position de porte-du-présent, accroupie sur le bord du bassin, un peu gênée au début par sa nudité. Elle avait peu à peu oublié son embarras en même temps que la douleur persistante à son pied gauche et s’était absorbée dans la perception d’elle-même, dans une vigilance pure, sans objet. Elle n’avait pas prêté attention aux images, aux sensations et aux pensées qui la traversaient et qui, pourtant, ne lui appartenaient pas. Elles émanaient, elle en était consciente, d’individus ou de mondes qu’elle ne connaissait pas, comme si elle se trouvait reliée aux fils d’une immense trame.
Un monde noyé sous les eaux, un autre ravagé par la guerre, un autre prisonnier des glaces, un autre encore livré à une puissance destructrice ; des murmures entremêlés, confus, un chœur de lamentations qui enflait lentement dans son silence, une déchirure qui se propageait à l’ensemble de la trame…
Qval Djema regardait Alma. Le Qval s’était dressé au-dessus de l’eau bouillante et rapproché d’elle. Elle distinguait maintenant, à l’intérieur de la forme sombre aux contours imprécis, un visage de femme, un visage bouleversant de beauté, de bonté. La fille du grand Ab et d’Ellula, la fondatrice de Chaudeterre. Émue aux larmes, Alma eut l’impression d’avoir retrouvé sa vraie mère, sa mère universelle.
Alma n’eut pas besoin de réfléchir très longtemps pour se forger une opinion : on n’enferme pas le présent dans des règles ni dans des murs.
Combien étaient-ils dans l’arche ?
Elles ont fini par se jeter dans l’eau bouillante ?
Pourquoi les choses sont-elles si compliquées ?