Les êtres humains ont tendance à oublier la simplicité magnifique de la vie. Leur peur fondamentale les pousse sans cesse à échafauder des systèmes dont la complexité les rassure.
Alma avait elle-même noué avec sa mère, avec les autres, des liens de haine, d’indifférence, de jalousie ou d’envie qui l’avaient tenue enfermée dans un système à la complexité rassurante.
De quelle peur fondamentale parlait Qval Djema ?
Le gouffre qui se creuse entre l’être et la perception. Les êtres humains se perçoivent solitaires, séparés du monde et de leurs semblables, or ils sont reliés chaque instant à l’ensemble de la création.
La création est aussi un système complexe.
Sa diversité est inouïe, extraordinaire, inimaginable, mais sous ses dehors complexes elle est formée d’un seul souffle, d’un seul chant. Il suffit de respirer ce souffle, d’entendre ce chant pour battre avec le cœur de l’univers.
Doit-on devenir un Qval pour battre avec le cœur du monde ?
Le sourire de Qval Djema s’élargit à l’intérieur de la forme sombre. Alma frissonna en songeant que son interlocutrice était née et avait vécu dans l’arche des origines, qu’elle avait atterri sur le nouveau monde quelque huit cents ans plus tôt.
Cesse donc de parler de devoir, Alma. Aucun sentier n’est tracé à l’avance. Ma voie n’est pas nécessairement la tienne.
Alma hésita un peu avant de formuler sa question, puis elle s’aperçut que ses pensées s’étaient déjà échappées de son esprit comme des nanziers d’un enclos mal fermé.
Toutes ces histoires qu’on raconte sur l’Estérion, elles sont vraies ?
Quelles histoires ?
Celles sur le grand Ab et sur Ellula par exemple. Est-ce que le grand Ab était vraiment ce géant invincible qui terrassa les terribles légions des robenoires ? Est-ce que le regard d’Ellula avait vraiment le pouvoir de métamorphoser les criminels en rédempteurs ?
Aucun son ne troubla le silence de la grotte, et pourtant Alma fut persuadée d’avoir entendu un rire.
Mon père et ma mère étaient beaucoup plus que des demi-dieux de légende : de véritables êtres humains. Le sentier qu’ils ont parcouru les a conduits à cette simplicité magnifique que j’évoquais tout à l’heure. Parce qu’ils ont su transformer leurs douleurs, leur passé en amour sincère, ils ont battu avec le cœur de l’univers.
Pourquoi ne sont-ils pas restés avec nous ?
Ils sont allés au bout d’eux-mêmes, au bout de leur chemin. Ils n’avaient plus rien à faire parmi nous.
Et toi… vous ?
J’ai choisi le chemin du Qval. Je suis l’une des gardiennes des équilibres de ce monde. Et donc de l’univers. Chaque blessure infligée à ce monde est infligée à l’univers.
Les protecteurs des sentiers en infligent beaucoup ces temps-ci.