Читаем Orchéron полностью

Vue d’en bas, l’agitation des grandes eaux se faisait impressionnante et soulevait chez Orchéron de sérieux doutes sur la possibilité de poursuivre son périple. Fabriquer un esquif ? Il en existait dans certains domaines, qui servaient à traverser la rivière Abondance au plus fort de ses crues, mais d’une part il ne disposait d’aucun des outils indispensables, ni hache, ni scie, ni rabot, ni glu de jaule pour assembler les planches entre elles, d’autre part le bois était rare pour ne pas dire inexistant tout le long du littoral, et enfin, quand bien même toutes les conditions auraient été réunies, une embarcation n’avait aucune chance de résister à l’amplitude et à la puissance de ces vagues. L’obstacle semblait vraiment infranchissable. Les piaillements des oiseaux multicolores, qui se riaient des bourrasques dans le mauve assombri du ciel, résonnaient comme autant de sarcasmes. Les ventresecs avaient reculé dans l’entrée du passage, comme si le déchaînement des grandes eaux relevait déjà de cette malédiction dont avait parlé Ezlinn.

« Nous devrions remonter. Il n’y a rien ici. »

Le visage ruisselant, les cheveux et la robe détrempés, les lèvres bleuies par le froid, les yeux agrandis par la frayeur, Ezlinn avait quitté l’abri du passage pour se rapprocher d’Orchéron. Une projection d’eau particulièrement virulente balaya la plateforme. Il saisit la ventresec par le bras puis la maintint plaquée contre lui pour l’empêcher d’être emportée.

Ils remontèrent sur le plateau, se réchauffèrent et séchèrent leurs vêtements à la chaleur revigorante d’un feu d’herbes et de branches. Ils ne prononcèrent pratiquement pas un mot jusqu’au crépuscule. Seuls les chamailleries et les rires des enfants, âgés de trois à quinze ans, troublaient le silence à la fois grave et maussade observé par les adultes du clan.

Gagné par un sentiment d’impuissance qui pesait sur son humeur comme une pierre, Orchéron entreprit de couper les poils les plus longs de sa barbe à l’aide de son couteau de corne, une décision qu’il regretta quand il se fut irrité et écorché les joues et le menton. Il s’efforça de ne pas répondre aux regards d’Ezlinn, assise en face de lui de l’autre côté du feu, qui cherchaient le sien avec obstination.

Après le repas du soir, ils se dispersèrent sur le plateau pour y passer la nuit, les uns se construisant des abris de fortune avec des branchages et des pierres, les autres se glissant dans les anfractuosités des rochers. À la façon dont ils hésitaient, dont ils tournaient en rond, Orchéron vit que les ventresecs étaient rongés par l’inquiétude, perdus hors des plaines où ils savaient qu’ils pouvaient compter sur une nature généreuse et sur l’appui des furves. En quittant leurs territoires habituels, ils avaient non seulement pris le risque d’attirer la malédiction de la prophétie sur eux et sur l’ensemble des clans errants, mais celui d’affronter un environnement qu’ils ne maîtrisaient pas.

Orchéron se faufila dans la petite cavité rocheuse qu’il avait découverte le soir de son arrivée, suffisamment hermétique pour l’aider à supporter la fraîcheur humide de la nuit. Le matelas d’herbe qu’il y avait installé le protégeait tant bien que mal de la dureté de la pierre mais avait pour inconvénient de lui irriter la peau.

Il avait supposé, et redouté, qu’Ezlinn viendrait le rejoindre un peu plus tard, or elle ne se manifesta pas de la nuit, comme si elle s’était enfin résignée à respecter son désir de solitude. Par un de ces étranges revirements dont est coutumière l’âme humaine, il en fut déçu : il aurait aimé serrer contre lui le corps vigoureux de la ventresec, aussi bien pour lutter contre la froidure que pour faire jaillir un peu de tendresse dans une solitude de plus en plus desséchante. Le souvenir de Mael ne s’estompait pas, pas encore, mais il ne suffisait plus à le nourrir. La vie au domaine d’Orchale lui paraissait loin désormais, aussi étrangère que sa première enfance, comme si ses souvenirs subissaient eux aussi des sauts dans le temps. Plus rien ne le reliait à Aïron, son père adoptif, cet homme qui l’avait recueilli sur les bords de la rivière Abondance mais qui n’avait jamais réussi à trouver le chemin de son cœur. Seule Orchale lui manquait, parce qu’elle était vivante contrairement à Mael, et qu’elle l’avait aimé aussi bien et même mieux que les fils issus de son ventre. La mort d’Œrdwen devenait anecdotique, un fait comme un autre dont l’éloignement estompait l’impact émotionnel ou l’enfouissait sous d’autres émotions. Le troisième constant d’Orchale avait fini de se vider de son sang dans l’esprit d’Orchéron, il était enfin ce corps froid et impersonnel à la sérénité apaisante, consolatrice.

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