Читаем Mange et tais-toi полностью

— Je vais finir par croire que c'est l'amour des chrysanthèmes que tu as surtout, Lathuile, grondé-je en m'apprêtant à lui démolir le pif. Je te parie qu'à la prochaine Toussaint t'en auras une pleine brouettée. Ta bonne femme sera remariée, ton adjoint qui piétine, en crevant ta photo à coups d'épingles tous les soirs avant de s'endormir t'aura remplacé au baveux, bref, tu seras tellement oublié qu'il faudra aller dans des vieux gogues de banlieue pour trouver encore tes articles coupés en huit près de l'arrosoir rouillé servant de chasse d'eau.

Il se marre.

— Ecoute, dit-il en ricanan, je te fais une propose.

Je regarde alternativement mon poing, puis son menton, et je décide de surseoir jusqu’à l'audition de ladite «propose».

— Réfléchis à ce que je vais te dire, poulet, me dit-il. Nous sommes dans un pays en guerre, toi, flic français et moi, célèbre reporter également français. Autour de nous, qu'est-ce qui grouille? Des Jaunes qui nous ont virés et les Ricains que nous avons virés. Tu voudrais que, par esprit d'émulation, on se fasse la guerre à nous deux? Que non point, Messire, ce serait par trop stupide. Concluons plutôt un pacte d'aide et d'assistance. J'ai des relations et une carte de presse, je dois pouvoir t'aider. En revanche, tu as un secret qui peut me permettre de transformer, grâce à la participation de mon camarade Gutenberg, du papier blanc en papier de chiotes-pour-bistrots de banlieue. Procédons en deux temps; premier mouvement, le célèbre Lathuile assiste l'obscur San-Antonio ainsi que l'évier de cantine qui lui sert d'adjoint; second mouvement, San-Antonio donne le feu vert à son allié, ça carbure ou pas?

Je réfléchis. A quoi bon emmener le journaleux en jonque, maintenant? Il a raison: mieux vaut traiter à l'amiable que de sortir les yatagans.

— Banco, Mec! me décidé-je. Je prends mes risques; à toi de prendre les tiens! Joues-moi l'indiscrète et tu comprendras ta douleur.

J'avale ma salive.

— On doit fusiller Curt Curtis dans une trentaine d'heures. Il faut que je l'aie fait évader avant; simplement.

Il est très bien, Lathuile, malgré sa beurranche. Pas de démonstrations intempestives, aucune exclamation, même pas un sifflement. Il sort un havane de la poche de son veston, c'est un Monte-Cristo gros comme un balustre Louis XIII. Il le coupe d'un coup de dent, il crache obligeamment la capsule de tabac dans le verre de Bérurier, puis chauffe l'autre extrémité du cigare, longuement, comme s'il voulait le souder.

— Tu vois grand, fait-il en exhalant une fumée couleur d'orage.

— Je sais.

— Tu as un bout de projet ou si tu fais seulement brûler des bonzes à l'intention de saint Antoine de Padoue pour qu'il te trouve une solution?

Pendant qu’il tartine, en bon pisseur de copie conforme, mes yeux sortent leur train d'atterrissage, et se posent délicatement sur une affiche de music-hall à Lo Lin Pia. Au programme les filles Nhû dans leur numéro de sabrage et puis, en vedette coloniale, Kons Thy Pê, le plus fameux pétomane du Cambodge, trois fois suppositoire d'or aux jeux scatologiques de Montecumule; en vedette automobile, un troisième numéro exécuté par Hô Ksé Bon Le Ton… Et c'est là que je tique, que je pique, que je nique, que je murmure, comme en état second à l'attentif Lathuile.

— Oui, j'ai un projet, amigo. Et tu vas effectivement m'aider à le réaliser. Il faut que tu me trouves dans l'heure qui vient un champion de tir à l'arbalète qui consente, moyennant une honnête rétribution, à tirer dans la fenêtre que je lui désignerai.

Le journaliste tète son gros cigare. Il a des plaques de tabac tout autour des lèvres, comme un poupard après qu'il se soit gavé de crème au chocolat.

— Vous n’avez pas besoin de trois éléphants blancs en parfait état et d'Hô Chi Minh en maillot de bain, pendant que je prends les commandes? grommelle le styloman.

— Si je ne peux compter sur toi, que pour me procurer un paquet de Camels, j’aime autant faire alliance avec un chasseur de l'hôtel.

Lors je lui désigne l'affiche de Lo lin Pia.

— Ça existe, un roi de l'arbalète, la preuve!

Décidément, il a de bons côtés, l'ami Lathuile. Il regarde l'affiche, puis sa montre, puis son verre vide. Il se lève en cigarant à toute vapeur.

L'arbalétrier est un petit homme qui ressemble trait pour trait à votre oncle jules, à part qu'il est plus petit, qu'il a la peau et les dents jaunes, les yeux et la braguette bridés. A part ça, il est en tenue de travail; c'est-à-dire qu’il porte un futal aussi bouffant que Bérurier, et une sorte de casaque bleue sur laquelle on a écrie en chinois et selon la méthode Prêvost-Delaunay, soit son nom, soit Merde-pour-qui-le-lira!

Il hoche la tête.

— C’est deux dollars, Msieur!

— Et vous tirez combien de coups d'arbalette pour ce prix-là?

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