Читаем Mange et tais-toi полностью

— Venez, Laura!?

— Où?

— A l'hôtel!

Elle fronce les sourcils.

— Oh, Tony, vous êtes insatiable! Ne croyez-vous pas que…

— Il ne s'agit pas de ce que vous croyez, ma chère amie.

Je frappe sur l'étui noir de mon appareil mystérieux qui intrigua si fort Béru, et dont j'ai eu soin de me munir à toutes fins utiles, pour le cas où il me deviendrait utile, ce qui est toujours une possibilité dont il faut tenir compte lorsqu'on… Et puis, flûte! Je voulais essayer de faire une longue phrase, style Académie française, avec des ramifications, des correspondances, mais décidément c'est pas mon genre. La littérature américaine nous a apporté la phrase courte et percutante; ce qui fait que le style s'est modifié. Messieurs les ciseleurs de fresques ont remisé leurs paragraphes accordéoneux. Le lecteur moderne n'a plus le temps de se farcir des longues tartines à changement de vitesse. On assiste à la mort du point virgule, les gars. Il s'atrophie, redevient virgule. Un sujet, un verbe, un complément à la rigueur, et allez, roulez! Notez que le complément devient une denrée rarissime, un luxe. Je vous prends une phrase moderne: «La nuit tombait.» Je connais une gonflée de nouveaux romanciers qui s’en contentent. Ils s'en branlent l'énergumène sur tige télescopique de la façon dont elle choit, la nuit. «La nuit tombait», pas besoin de préciser si c'est rapidos ou mollement, dans des brumes ou du soleil apothéoseux. Chacun imagine selon ses goûts. Le vrai complément, de nos jours, en littérature, c'est le lecteur. Les bouquins deviennent des albums à colorier. Bientôt ça va être réglementé sévère, la lecture. Faudra passer des tests, obtenir des permis pour pouvoir s'y adonner. Et encore y aura des catégories. Vous aurez votre permis de lecture tourisme, ou votre permis de lecture poids-lourd. Tout ça je le prédis, vous verrez!

Qu'est-ce que je disais? Vous me faites digresser, c'est pas honnête. Ah oui: Laura et mézigue, à l'hôtel Tû Trich Kang Tû Jouy, une boite d'avant-dernier ordre.

On pénètre dans une espèce de salle commune, bourrée de matafs de la Navy, blancs comme des peintres en bâtiment, mais beaucoup plus bourrés.

Je sais pas si c'est pour réagir contre l'immaculé de leur uniforme, mais ils sont toujours noirs, les matafs amerloques. A terre, il leur faudrait un radar tout comme à bord. J'en ai vu des bouilles de dégénérés dans ma vie bourlingueuse, mais jamais autant que dans la Navy. Des microcéphales, des macrocéphales, des brachycéphales, des dolichocéphales, une vraie collection, je vous jure! Chez nous, des mecs avec des tronches pareilles, on les colle dans des bocaux; les Ricains, eux, ils les flanquent dans la marine où on les fait fonctionner au sifflet, comme des clébards et où toujours comme des clébards, on leur file des coups de pompe dans le derche.

Ces gentilhommes des mers font un foin du diable dans le bistrot. Ils sont alignés le long du comptoir, comme ils s'aligneront un peu plus tard devant un mur afin de souscrire à l'opération inverse. La même attitude pour boire que pour pisser, avouez que c'est triste! Derrière le long rade laqué, j'avise deux singes. Le premier est attaché au mur par une chaînette, le second sert de la bière aux clients. Le premier est ouistiti de son état, et le second cabaretier; c'est en cela qu'ils se différencient. A part ça, ils se ressemblent comme deux frères qui se ressemblent, sauf peut-être que le ouistiti est un peu moins poilu que le bistrotier.

C'est rare, un Asiatique velu, non? Moi, tous les Jaunes que j'ai rencontrés étaient imberbes comme des pendules Louis XV. Dans tout ce bouzin, je me sens pas bêcheur, avec ma ravissante Laura au bras. Les gagas de la marine se mettent à la siffler, à la toucher, à lui faire des gestes honteux qui ne font pas étinceler mon standing. Seulement faut savoir si je vais me mettre sérieusement au turf, ou bien engager une nouvelle guerre au sud du 178 parallèle (d'infanterie de marine).

Je m'approche du singe-taulier et je lui demande s'il pourrait, moyennant finances, nous louer une piaule de son Pâlace, de préférence à l'étage le plus élevé.

Il me considère avec cette attention soutenue, qui rejoint presque la fascination qu'ont les messieurs devant une Ferrari et les dames devant un miroir. Puis il décide que je suis un client possible et me demande pour quelle durée je souhaite devenir son locataire.

Je lui réponds, l'honneur de Loura dût-il en souffrir, qu'une petite heure sera grandement suffisante. En vertu de quoi il me donne une clé et le conseil de prendre garde au tapis de l'escalier qui est décloué entre le second et le troisième étage.

— Je ne comprends toujours pas, me dit Laura lorsque j'ai refermé la porte de la chambre.

— Je vais vous expliquer, ou plutôt vous démontrer, mon petit.

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