La paysanne y grimpe tout en continuant à baragouiner et à rire à gorge déployée. Mon regard se lève naturellement pour suivre son ascension vers un grenier à claire-voie, comblé de foin. Et mon regard ahuri tombe sur les dessous douteux de la Polska. Un fessier digne de la réalisation des frères Montgolfier, accroche ma vue dans une obstination curieuse. L’ampleur de ses fesses dégage suffisamment la courte jupe et rien ne m’échappe. Quelque chose comme un chandail tricoté main lui sert de culotte. Mon regard est attiré comme celui d’un touriste devant un monument du XIIIe siècle. La Polska, qui s’aperçoit que je l’observe, s’arrête enfin sur la fausse fenêtre de son grenier, se retourne et me fait signe de grimper à mon tour. Je me sens assez gêné, car si j’ai eu le loisir d’observer comment manœuvre un char sous la mitraille, je me sens parfaitement novice devant un slip d’une telle importance. Habitué à foncer, je gravis cependant l’escalier comme un mur d’assaut sous les aboiements d’un unteroffizier. Et me voilà courbé en deux sous l’amoncellement du foin avec la Polska aux fesses d’un demi-mètre cube qui rit et glousse comme si elle allait pondre. Mon fusil s’accroche partout et j’ai une fois de plus l’air de ramper dans un Graben. Il y a des poules partout dans le foin. La Polska les chasse et ramasse plusieurs œufs. Elle se retourne vers moi, toujours riante, les dents un peu trop espacées mais d’une blancheur étincelante. Elle se rapproche pour me tendre les œufs chauds qu’elle vient de cueillir en quelque sorte pour moi.
Je sens son haleine et la chaleur de son corps m’assaillir. La coquine plonge ses œufs et ses mains dans les profondeurs des poches de ma vareuse. Je sens le contact de ses doigts contre mes hanches et je roule des yeux interloqués, attendant l’ordre de décrocher rapidement. L’ordre ne vient pas et les doigts impis de l’ennemi pétrissent ma chair au travers de la doublure des poches et du pantalon.
— Nom de Dieu de bon Dieu !
Mais la Polonaise voluptueuse s’est approchée de moi et tout me laisse supposer un corps à corps. Elle ne sourit plus que béatement et roule des yeux enfiévrés.
Trop tard, mes décisions tardives ne me sont plus d’aucun secours. La belle, qui me rend au moins dix kilos, m’a subitement enlacé et, d’une prise adroite, me jette sur sa gauche en me faisant perdre l’équilibre. Je me retrouve gesticulant sous un ennemi de soixante-quinze kilos dont l’une des mains s’active sur la braguette de mon pantalon synthétique tout neuf. J’ai, en plus, une omelette dans chaque poche, et je ne peux faire usage de mon arme que je porte en bandoulière derrière mon dos.
Malheur ! si le Führer me voyait, je serais à jamais vidé de la « Gross Deutschland » et expédié dans un des bataillons de marche de la Brandenburg… Pour parachever ma faillite, la belle, plus habituée à manier le manche d’une pioche que ce que je n’ose préciser, s’acharne sur l’objet en question, en me faisant sursauter comme un malade atteint du hoquet. J’aurais peut-être fini par trouver quelque agrément à cette farouche manifestation si la Polska, au comble de sa frénésie, n’avait soudainement décidé de remonter ses cotillons au-dessus de l’ensemble celluliteux que formaient ses cuisses et son bas-ventre. Cette vision de baudruche boursouflée acheva de dissiper le peu de désir qui avait pu m’effleurer. Le souvenir délicieux de Paula m’offrait une comparaison trop absurde. D’une brusque ruade, je me dégage enfin de cette femelle en rut, qui s’excite d’elle-même. Son visage un peu porcin, qui avait peut-être un charme tout à l’heure, a maintenant l’expression des bovins qui s’accouplent. Je me redresse en retournant mes poches pleines d’une marmelade blanche et jaune. La fille s’est ressaisie et essaie de rire, craignant le pire pour son audace excessive. En un rien de temps je suis au bas de l’échelle et fais des gestes explicatifs à la Polska pour qu’elle apporte de quoi laver le bas de ma vareuse neuve. Si les taches subsistent, je risque d’avoir pas mal d’ennuis. J’essaie de prendre un air courroucé, mais ce qui vient de m’arriver me met incontestablement dans un état d’infériorité et le rose me monte aux joues.
La Polska, mi-souriante, mi-inquiète, m’entraîne à sa suite vers la maison d’habitation. Une porte qui s’ouvre vers l’extérieur est franchie. Il faut descendre pour en atteindre une seconde qui s’ouvre cette fois vers l’intérieur.