On peut suivre du regard la progression magnifique des Tigre qui pulvérisent au fur et à mesure l’ennemi chenillé qui n’a pas encore fait demi-tour. La Luftwaffe s’acharne au rocket et au canon de 20 sur la débandade russe que nous masque un incroyable mur de fumée lumineux à sa base.
L’artillerie russe persiste à faire pleuvoir des obus sur nos lignes, causant des morts que l’on ne remarque pas. Bientôt elle se tait à son tour devant le reflux de ses propres troupes.
Une autre vague aérienne allemande survient comme un luxe supplémentaire parachevant la débâcle rouge. Les landser se serrent mutuellement dans leurs bras. La joie éclate chez ces hommes qui, depuis un an, se replient devant un ennemi toujours plus puissant. Lensen hurle comme un possédé :
— Je vous l’avais bien dit ! Je vous l’avais bien dit !
Nous eûmes droit aux communiqués spéciaux. Le front de la frontière roumaine tient. Après un mois d’attaques consécutives, et par un froid terrible, les troupes allemandes et roumaines ont repoussé pour la nième fois l’offensive russe et anéanti un matériel considérable.
La masse de ferraille jonchée de morts qui s’étalait devant nous, justifiait assez ces dires. Sur un front de 350 kilomètres, l’armée rouge venait effectivement de lancer seize attaques depuis un mois. Compte tenu des trois semaines de silence où toutes les opérations furent quasi impossibles, les seize assauts avaient porté sur une seule semaine. Cinq points précis subirent ces coups de bélier. Une seule de ces attaques faillit d’ailleurs réussir. Le front fut enfoncé au sud mais la poche fut colmatée et les unités rouges furent faites prisonnières ou anéanties.
De notre côté tout le monde avait tenu bon et nous en étions très fiers. Nous venions de donner la preuve qu’avec un matériel adéquat, un minimum de préparation et des troupes nettement inférieures en nombre, nous pouvions tenir tête à un ennemi dont les efforts insensés n’étaient, à vrai dire, jamais employés à bon escient.
L’ancien, Wiener, avait fait bien souvent cette réflexion dans les moments difficiles. À la vue d’un char ennemi en flammes, il découvrait toujours ses dents de loup en un large sourire.
— Quel con ! disait-il. S’être fait si bêtement avoir ! Seul leur nombre nous submergera un jour !
Il y eut trente Croix de Fer pour la « Gross Deutschland ». Autant pour le petit effectif du régiment de chars qui ne les avait pas volées.
Chapitre XIV
Remise à neuf en Pologne
La division avait été plusieurs fois défaite et ses pertes étaient importantes. Bien souvent on y préleva des unités que l’on croyait au complet pour les expédier ailleurs en renfort sur des points où on en avait grand besoin. Quand elles arrivaient à destination, on s’apercevait qu’il manquait les deux tiers de l’effectif. On ne pouvait rien faire d’autre que le déplorer.
Ce retour au calme nous fut très salutaire. Il s’en fallut de peu qu’il ne fût idyllique, mais la connerie des casernements était trop déprimante. Les exercices que nous dûmes subir comme des bleus nous plongèrent dans une rage qui frisa la révolte.
Après un voyage de quatre cents kilomètres, nous nous trouvons cette fois réellement éloignés du front, en Pologne, à quelque quatre-vingts kilomètres de Lwow, sur les bords du Dniestr. La rivière, assez peu large à cet endroit, coule au pied des Carpathes. Son flot tumultueux court entre de minuscules îlots chargés de neige et de glace. Sur de grandes surfaces, un gel sévère a paralysé l’eau, et son courant file par-dessous en émettant un son bizarre.
Ciel bleu très pâle, horizon de glaciers d’où s’envolent des aigles, panorama sain et grandiose. La Galicie orientale va nous offrir pour deux mois son décor sportif qui nous change agréablement de l’Ukraine d’hiver, grise et noire. La neige y est dense aussi, le froid vigoureux, mais les baraquements de bois qui se groupent sur le bord du Dniestr sont propres et chauffés – chauffés d’ailleurs avec un sens trop poussé de l’économie – mais peu importe. Après ce que nous venons de vivre, les 10° ou 12° au-dessus de zéro qui règnent à l’intérieur des cambuses nous permettent de vivre dans une atmosphère non somnolente. Le camp est vaste et organisé avec la rigueur prussienne des armées à la veille de la guerre. Quelque chose comme cent cinquante bâtiments de bois sans étage forment des blocs portant une lettre et un numéro. Une grosse bâtisse en dur émerge du bois de sapins enneigé. Elle fait sans doute partie du village voisin du camp et abrite le secrétariat et les officiers principaux. Matériel revu et remis à neuf, fraîchement repeint et entretenu attentivement. Devant cet ordre et ce semblant d’abondance, on ne peut pas croire que l’Allemagne soit à la limite de ses possibilités. Ici tout n’est qu’organisation. Après le désordre auquel nous avons survécu, cet enregistrement par écrit de chaque chose nous étreint comme des animaux sauvages que l’on met en cage.