Le capitaine Wesreidau nous aida bien souvent à supporter le pire. Il s’entendait fort bien avec sa troupe. Le capitaine Wesreidau n’était pas de ces officiers, imbus de leurs grades, qui regardent et traitent le soldat comme un pion sans valeur et avec lequel on peut jouer sans scrupule. Combien de fois partagea-t-il nos veillées grises ! Combien de fois le retrouvâmes-nous dans nos casemates, nous tenant de longues conversations et nous faisant oublier la tempête de neige qui hurlait dehors ! Je revois encore son visage mince, à peine éclairé par une vacillante Kerze, tout près du nôtre.
— L’Allemagne est un grand pays, nous disait-il. Aujourd’hui nos difficultés sont immenses. L’ordre dans lequel nous croyons plus ou moins vaut bien les slogans d’en face. Même si nous n’approuvons pas toujours ce que nous sommes obligés de faire, nous devons l’exécuter au nom de notre pays, de nos camarades, de nos familles sur lesquelles l’autre partie du monde s’acharne en prétendant servir la vérité et le bon droit. La vérité et le bon droit sont aussi relatifs que la liberté. Vous êtes tous, maintenant assez grands pour comprendre cela. J’ai voyagé en Amérique du Sud et j’ai mis un jour les pieds en Nouvelle-Zélande. J’ai fait, depuis, la guerre en Espagne, en Pologne, en France et aujourd’hui en Russie. Je puis dire que partout j’ai rencontré les mêmes hypocrisies dominantes. La vie, mon père, et les leçons des anciens, m’apprirent à préparer mon existence avec droiture et loyauté. J’ai maintenu ces idées malgré toutes les difficultés et toutes les saloperies qui ont été mises en travers de ma route. Là où une épée eût été nécessaire, j’ai continué à sourire ou à m’accuser moi-même, pensant que les maux venaient de moi.
— Lorsque j’ai tiré mes premières rafales en Espagne, j’ai songé à me suicider, tant l’exercice de la guerre ne semblait point me convenir. Et puis, j’ai vu la férocité des autres qui, persuadés de servir la bonne cause, s’offraient le meurtre comme des purificateurs. J’ai vu les Français mièvres et suaves nous craindre. Puis, lorsque nous leur eûmes rendu leur confiance et que nous essayâmes de leur tendre la main, ils s’enhardirent et commencèrent à reprendre les armes qu’ils n’avaient pas su tenir lorsqu’il le fallait. Le monde en général n’accepte jamais une chose à laquelle il n’est pas habitué. Un changement quelconque le surprend et l’effraie. Il accepte alors de se battre pour préserver une chose dont il se plaint constamment. Pour peu que des beaux parleurs assis sur la mollesse d’une confortable situation leur fassent croire à l’égalité des hommes, même si ces hommes sont aussi différents de nous que peuvent l’être une vache et un coq, ces mondes fatigués et prostrés dans une liberté plus que restreinte se mettent à brailler leur conviction et s’avancent menaçants. Toutefois, il est bon de couvrir soigneusement ces gens et de leur tenir le ventre plein, si on veut obtenir d’eux le dixième du rendement prévu.