— Que savez-vous au juste sur cette affaire ?
— Quel deal avez-vous à me proposer ?
Solinas sourit. Son alliance allait et venait sur son doigt :
— Vous n’êtes pas en position de négocier, capitaine. J’ai parlé avec le juge. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est mal barré pour vous.
— Je passe ma vie à trouver des compromis avec des malfrats. Je pense que vous pouvez faire un effort avec une flic. Je possède des informations cruciales sur ce dossier.
Il hocha la tête. La manière de batailler d’Anaïs, avec ses petits poings, semblait lui plaire.
— Quels seraient les termes de l’accord ?
— Tout ce que je sais sur l’affaire en échange de ma remise en liberté immédiate.
— Rien que ça.
— Je serais prête à accepter une conditionnelle.
Solinas ouvrit une chemise contenant des PV d’auditions. Son dossier. Pas trop épais.
— Chacun y trouvera son compte, poursuivit-elle. Vous aurez vos infos, j’aurai ma liberté. Ce n’est d’ailleurs pas contradictoire. Je peux vous aider pour la suite de l’enquête.
Le flic brandit une liasse de feuillets agrafés :
— Vous savez ce que c’est ?
Anaïs ne répondit pas.
— Votre suspension jusqu’à nouvel ordre.
— Je pourrais jouer le rôle de consultant extérieur.
Solinas glissa ses mains derrière sa nuque et s’étira.
— Tout ce que je peux faire, c’est vous donner trois jours, avant de filer le dossier au pénal et à l’IGS. En tant que flic, vous devez pouvoir bénéficier d’une remise en liberté provisoire, sous ma tutelle. Disons : « Dans l’intérêt de la manifestation de la vérité. »
Il planta son index dans la surface du bureau :
— Mais attention, ma belle. Vos infos, c’est ici, maintenant, sans réserve. Si je m’aperçois que vous avez gardé le moindre truc pour vous, je vous l’enfoncerai jusqu’à la garde et la merde vous ressortira par les oreilles.
— Très élégant.
Il reprit sa position de demi de mêlée, attrapant son alliance à deux doigts :
— Tu te crois où ? chez Ladurée ?
— Qui me dit qu’une fois que je me serai mise à table, vous tiendrez votre engagement ?
— Ma parole de flic.
— Que vaut-elle ?
— Vingt-cinq ans de bons et loyaux services. L’opportunité d’un superbe coup de levier dans ma carrière. La perspective d’enculer mes petits camarades de la Crim. Mets tout ça dans la balance et regarde l’aiguille.
Ces arguments étaient bidon. La seule vérité dans ce discours, c’était qu’elle n’avait pas le choix. Elle était l’otage de Solinas.
— Je marche, fit-elle. Mais vous éteignez votre portable et votre ordinateur. Vous coupez la caméra au-dessus de votre tête. Vous ne prenez aucune note. Il ne doit rester aucune trace concrète de ce que je vais dire. Pour l’instant, rien n’est officiel.
Solinas se leva avec des airs de prédateur fatigué. Il déroula son bras et éteignit la caméra de sécurité. Il sortit son mobile, le déconnecta, le posa en évidence sur la table. Enfin, il se rassit, mit en veille son PC et ordonna sur sa ligne fixe qu’on ne le dérange plus.
Se carrant profondément dans son fauteuil, il demanda :
— Café ?
— Non.
— Alors, je t’écoute.
Elle déballa tout. Les meurtres chez les clochards. Le Minotaure à Bordeaux. Icare à Marseille. La cavale de Mathias Freire, alias Victor Janusz, alias Narcisse. Le profil pathologique du suspect, qui multipliait les fugues psychogènes. Sa volonté d’enquêter lui-même sur les meurtres au lieu de fuir la France. Une démarche qu’on pouvait prendre pour une preuve d’innocence, ou de perte de mémoire, ou des deux.
Anaïs parla une demi-heure et termina son discours, la bouche sèche, en demandant :
— Vous avez un peu d’eau ?
Solinas ouvrit un de ses tiroirs et posa sur le bureau une petite bouteille d’Évian.
— La rue de Montalembert, pourquoi ?
Anaïs ne répondit pas tout de suite. Elle buvait à pleines gorgées.
— Dans une de ses vies, reprit-elle, Freire a été peintre. Narcisse. Un artiste souffrant de troubles psychiques. Il a été soigné à la Villa Corto, un institut spécialisé dans l’arrière-pays niçois.
L’évocation de la Villa Corto était un test. Solinas ne réagit pas. Il n’était donc pas au courant du carnage. Elle n’avait pas évoqué non plus cet épisode. À part Crosnier, personne n’était censé savoir qu’elle était passée par cette case.
— Narcisse peignait exclusivement des autoportraits. Freire a compris qu’il avait lui-même dissimulé sous le tableau un autre tableau. Ses toiles avaient été vendues par le biais d’une galerie parisienne. Il a rejoint Paris et s’est procuré les noms des acheteurs. Il s’est mis en quête des œuvres pour les radiographier. C’était le seul moyen pour découvrir le secret des toiles.
— Les acheteurs : ce sont les noms que vous avez donnés à Ribois ?
— Ribois ?
— Monsieur Muscles.