Il devait faire vite avant de sombrer dans l’inconscience. Il traversa l’espace et essaya d’ouvrir la baie vitrée. Aucun problème. Le froid le gifla ainsi que cette certitude : tous les signaux étaient au vert pour une évasion. Il n’était plus question de s’abandonner aux mains des flics. De rendre les armes. De laisser les réponses aux autres…
Il jeta un dernier coup d’œil à la salle et aperçut, suspendue à la barre métallique du brancard, son graphique médical. Il revint sur ses pas et emporta la feuille fixée sur un support plastifié. Il avait déjà son idée.
La fiche sous le bras, il enjamba le châssis de la fenêtre, atterrit sur une corniche. Plan large sur la cour intérieure. La rumeur de Paris grondait comme un orage. La cathédrale Notre-Dame, plus vaste qu’une montagne, découpait ses blocs et ses pics sur le ciel sombre. Sa taille colossale, plus que le vide sous ses pieds, lui colla le vertige. Il se rattrapa in extremis au rebord et se concentra sur son environnement proche.
Il se trouvait au deuxième étage. Au premier, courait la galerie du cloître. S’il parvenait à descendre à ce niveau, il pourrait se glisser sous une des voûtes, trouver un escalier, disparaître. À vingt mètres à droite, une gaine d’écoulement descendait jusqu’au rez-de-chaussée. Il se déporta lentement, sentant ses pieds s’enfoncer dans le revêtement de zinc. Le froid le soutenait, crispant ses muscles, l’empêchant de s’endormir.
En quelques secondes, il atteignit la canalisation. En s’accrochant avec les mains au premier collier métallique, il trouva le second avec les pieds. Il s’arc-bouta puis permuta : le support des pieds devint celui des mains, ses talons trouvèrent le collier suivant. Et ainsi de suite. Il atteignit le balcon de pierre du premier étage et sauta à l’intérieur de la galerie.
Personne. Il longea le mur jusqu’à trouver une cage d’escalier. En bas, dans la cour, des patrouilles de flics devaient aller et venir. L’urgence : trouver un déguisement pour traverser la fosse aux lions.
Renonçant à descendre, il tourna à droite, trouva un couloir. Toujours désert. Des murs beiges. Du lino au sol. Des chambres en série. Il s’élança en quête d’une infirmerie, un vestiaire, un local technique. Il croisa plusieurs portes numérotées — 113, 114, 115… — puis une autre qui prévenait : INTERDIT AU PUBLIC.
Il tourna la poignée et se glissa à l’intérieur. À tâtons, il trouva un commutateur et jura. Il n’y avait ici que des draps, des housses, des couvertures, ainsi que des produits d’entretien disposés sur des rayonnages. Son regard parcourait les étagères quand la porte s’ouvrit dans son dos. Un cri de frayeur retentit. Narcisse se retourna. C’était une femme de ménage, d’origine africaine, armée de son chariot et de ses balais.
— Qu’est-ce que vous foutez là ? demanda-t-il avec autorité.
— Vous… vous m’avez fait peur.
Le temps que l’intruse ouvre la porte, il avait trouvé une blouse. Il l’enfila sans perdre son aplomb. Il n’avait pas de badge mais sa mauvaise humeur faisait office d’autorité.
— Je répète ma question : qu’est-ce que vous foutez là ?
La femme retrouva ses moyens et fronça les sourcils :
— Et vous ?
— Moi ? Je fais votre boulot. Je viens de la 113. La patiente a dégueulé partout. Elle a foutu en l’air ma blouse. Ça fait dix minutes que je sonne. Personne ne vient. C’est intolérable !
La technicienne hésita :
— Moi, j’suis chargée des couloirs, je…
Narcisse attrapa une serpillière sur un rayon et lui lança :
— La propreté, c’est votre responsabilité. Filez à la 113 !
Disant cela, il l’écarta et sortit du réduit sans un regard. Marchant droit devant lui, boutonnant sa blouse, il sentait les yeux de la femme braqués sur son dos. Quelques pas encore et il saurait si son coup de bluff avait fonctionné.
— Docteur !
Il se retourna, le cœur palpitant.
— Vous avez oublié ça.
Elle lui tendait le graphique médical qu’il avait posé sur les draps. Il revint sur ses pas et se dérida.
— Merci, et bon courage.
Il repartit d’un pas sûr. Quand il entendit les bruits du seau, du balai et du chariot qui s’orientaient vers la chambre, il sut qu’il avait gagné.
Il tourna à gauche et plongea dans la cage d’escalier.
94
LA LIGNE 7 sillonnait les IXe, Xe et XIXe arrondissements. Exactement ce qu’il lui fallait. Il trouverait bien un hôtel dans les environs des stations Château-Landon ou Crimée. Le temps du luxe était fini. D’ailleurs, il n’avait même pas de quoi se payer une chambre dans un bouge de dernière zone. Il avait même dû tricher pour franchir les portiques du métro.
Il s’écroula sur un des sièges du quai, direction La Courneuve, plus ou moins soulagé, mais surtout épuisé. Les effets de l’analgésique ne cessaient de monter en vagues puissantes. Ses paupières pesaient des tonnes. Ses muscles étaient en berne…