Читаем La vie devant soi полностью

Je suis quand même redescendu, je me suis assis à côté de Monsieur Yoûssef Kadir mort et je suis resté là un moment, même si on ne pouvait plus rien l'un pour l'autre.

Il avait un nez beaucoup plus long que le mien mais les nez s'allongent toujours en vivant.

J'ai cherché dans ses poches pour voir s'il n'y avait pas un souvenir mais il y avait seulement un paquet de cigarettes, des gauloises bleues. Il y en avait encore une à l'intérieur et je l'ai fumée assis à côté de lui, parce qu'il avait fumé toutes les autres et ça me faisait quelque chose de fumer celle qui en restait.

J'ai même chialé un peu. Ça me faisait plaisir, comme s'il y avait quelqu'un à moi que j'ai perdu. Ensuite j'ai entendu police-secours et je suis remonté bien vite pour ne pas avoir d'ennuis.

Madame Rosa était encore affolée et ça m'a rassuré de la voir dans cet état et pas dans l'autre. On avait eu de la veine. Des fois, elle n'avait que quelques heures par jour et Monsieur Kadir Yoûssef était tombé au bon moment.

J'étais encore complètement renversé à l'idée que je venais d'avoir d'un seul coup quatre ans de plus et je ne savais pas quelle tête faire, je me suis même regardé dans la glace. C'était l'événement le plus important dans ma vie, qu'on appelle une révolution. Je ne savais plus où j'en étais, comme toujours lorsqu'on n'est plus lé même. Je savais que je ne pouvais plus penser comme avant mais pour le moment je préférais ne pas penser du tout.

– Oh mon Dieu, dit Madame Rosa, et on a essayé de ne pas parler de ce qui venait d'arriver pour ne pas faire de vagues. Je me suis assis sur le tabouret à ses pieds et je lui ai pris la main avec gratitude, après ce qu'elle avait fait pour me garder. On était tout ce qu'on avait au monde et c'était toujours ça de sauvé. Moi je pense que lorsqu'on vit avec quelqu'un de très moche, on finit par l'aimer aussi parce qu'il est moche. Moi je pense que les vraies mochetés sont vraiment dans le besoin et c'est là qu'on a le plus de chance. Maintenant que je me souviens, je me dis que Madame Rosa était beaucoup moins moche que ça, elle avait de beaux yeux bruns comme un chien juif, mais il ne fallait pas penser à elle comme à une femme, car là évidemment elle ne pouvait pas gagner.

– Ça t'a fait de la peine, Momo?

– Mais non Madame Rosa, je suis content d'avoir quatorze ans.

– C'est mieux comme ça. Et puis, un père qui a été psychiatrique, c'est pas du tout ce qu'il te faut, parce que des fois c'est héréditaire.

– C'est vrai, Madame Rosa, j'ai eu du pot.

– Et puis tu sais, Aïcha faisait un gros chiffre d'affaires, et on peut pas vraiment savoir qui est le père, là-dedans. Elle t'a eu dans le mouvement, elle s'est jamais arrêtée de travailler.

Après je suis descendu et je lui ai acheté un gâteau au chocolat chez Monsieur Driss qu'elle a mangé.

Elle a continué à avoir toute sa tête pendant plusieurs jours, c'était ce que le docteur Katz appelait une rémission de peine. Les frères Zaoum montaient deux fois par semaine le docteur Katz sur l'un de leur dos, il ne pouvait pas se taper les six étages pour constater les dégâts. Car il ne faut pas oublier que Madame Rosa avait aussi d'autres organes que la tête et il fallait la surveiller partout. Je ne voulais jamais être là pendant qu'il faisait le compte, je descendais dans la rue et j'attendais.

Une fois, il y a eu le Nègre qui est passé par là. On l'appelait le Nègre pour des raisons peu connues, peut-être pour le distinguer des autres Noirs du quartier, car il en faut toujours un qui paie pour les autres. Il est le plus maigre de tous, il porte un chapeau melon et il a quinze ans dont au moins cinq sans personne. Il avait des parents qui l'avaient confié à un oncle qui l'avait refilé à sa belle-sœur qui l'avait refilé à quelqu'un qui faisait du bien et ça a fini en queue de poisson, personne ne savait plus qui avait commencé. Mais il ne se piquait pas, il disait qu'il était rancunier et ne voulait pas se soumettre à la société. Le Nègre était connu dans le quartier comme porteur de commandes parce qu'il coûtait moins cher qu'une communication téléphonique. Il se faisait des fois cent courses par jour et avait même une piaule à lui. Il a bien vu que je n'étais pas dans ma forme olympique et il m'a invité à jouer au baby dans le bistro rue Bisson où il y en avait un. Il m'a demandé ce que j'allais faire si Madame Rosa claquait et je lui ai dit que j'avais quelqu'un d'autre en vue. Mais il voyait bien que je crânais. Je lui ai dit que je venais d'avoir quatre ans de plus d'un seul coup et il m'a félicité. On a discuté un moment pour savoir comment il fallait se défendre quand on avait quatorze ou quinze ans sans personne. Il connaissait des adresses où on peut aller mais il m'a dit que le cul, il faut aimer ça, ou alors c'est dégueulasse. Il n'a jamais voulu de ce pain-là parce que c'était un métier de gonzesse. On a fumé une cigarette ensemble et on a joué au baby, mais le Nègre avait ses courses à faire et moi je ne suis pas le genre de mec qui s'accroche.

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