Читаем La vie devant soi полностью

Le type a fait un petit bond sur sa chaise.

– Signe de vie, signe de vie, signe de vie! chanta-t-il, les yeux levés au ciel, où on nous attend tous. Signe de vie!

On ne peut pas dire qu'il parlait comme ce mot l'exige, et il sautillait à chaque prononciation sur sa chaise, comme si on lui bottait les fesses sans aucune estime.

– Signe de vie, non, mais vous voulez rire!

– C'est la dernière chose que je veux, l'assura Madame Rosa. Vous avez laissé tomber votre fils comme une merde, selon l'expression de ce nom!

– Mais je n'avais même pas votre nom et adresse! L'oncle d'Aïcha a gardé le reçu au Brésil… J'étais enfermé! Je sors ce matin! Je vais chez sa belle-fille à Kremlin-Bicêtre, ils sont tous morts, sauf leur mère qui a hérité et qui se souvenait vaguement de quelque chose! Le reçu était épinglé à la photo d'Aïcha comme mère et fils! Signe de vie! Qu'est-ce que ça veut dire, signe de vie?

– De l'argent, dit Madame Rosa, avec bon sens.

– Où voulez-vous que j'en trouve, Madame?

– Ça, ce sont des choses que je veux pas entrer dedans, dit Madame Rosa, en se ventilant le visage avec son éventail japonais.

Monsieur Kadir Yoûssef avait la pomme d'Adam qui faisait l'ascenseur rapide, tellement il avalait l'air.

– Madame, quand nous vous avons confié notre fils, j'étais en pleine possession de mes moyens. J'avais trois femmes qui travaillaient aux halles dont une que j'aimais tendrement. Je pouvais me permettre de donner une bonne éducation à mon fils. J'avais même un nom social, Yoûssef Kadir, bien connu de la police. Oui, Madame, bien connu de la police, c'était même une fois en toutes lettres dans le journal. Yoûssef Kadir, bien connu de la police… Bien connu, Madame, pas mal connu. Après, j'ai été pris d'irresponsabilité et j'ai fait mon malheur…

Il pleurait comme une vieille Juive, ce type-là.

– On a pas le droit de laisser tomber son fils comme une merde sans payer, dit Madame Rosa sévèrement, et elle s'est ventilée un coup avec son éventail japonais.

La seule chose qui m'intéressait là-dedans c'était de savoir si c'était de moi qu'il s'agissait comme Mohammed ou non. Si c'était moi, alors je n'avais pas dix ans mais quatorze et ça, c'était important, car si j'avais quatorze ans, j'étais beaucoup moins un môme, et c'est la meilleure chose qui peut vous arriver. Moïse qui était debout à la porte et qui écoutait ne se bilait pas non plus, car si ce gazier s'appelait Kadir et Yoûssef, il avait peu de chance d'être juif. Remarquez, je ne dis pas du tout qu'être juif c'est une chance, ils ont leurs problèmes, eux aussi.

– Madame, je ne sais pas si vous me parlez sur ce ton-là ou si je me trompe parce que j'imagine des choses à cause de mon état psychiatrique, mais j'ai été coupé du monde extérieur pendant onze ans, j'étais donc dans l'impossibilité matérielle. J'ai là un certificat médical qui me prouve…

Il a commencé à fouiller nerveusement dans ses poches, c'était le genre de mec qui n'est plus sûr de rien et il pouvait très bien ne pas avoir le papier psychiatrique qu'il croyait avoir, car c'est justement parce qu'il s'imaginait qu'on l'avait enfermé. Les psychiatriques sont des gens à qui on explique tout le temps qu'ils n'ont pas ce qu'ils ont et qu'ils ne voient pas ce qu'ils voient, alors ça finit par les rendre dingues. Il a d'ailleurs trouvé un vrai papier dans sa poche et il a voulu le donner à Madame Rosa.

– Moi les documents qui prouvent des choses, j'en veux pas, tfou, tfou, tfou, dit Madame Rosa, en faisant mine de cracher contre le mauvais sort, comme celui-ci l'exige.

– Maintenant, je vais tout à fait bien, dit Monsieur Yoûssef Kadir, – et il nous regarda tous pour s'assurer que c'était vrai.

– Je vous encourage à continuer, dit Madame Rosa, car il n'y avait que ça à dire.

Mais il n'avait pas l'air d'aller du tout bien, ce mec, avec ses yeux qui cherchaient des secours, ce sont toujours les yeux qui en ont le plus besoin.

– Je n'ai pas pu vous envoyer de l'argent parce que j'ai été déclaré irresponsable du meurtre que j'ai commis et j'ai été enfermé. Je pense que c'est l'oncle de ma pauvre femme qui vous envoyait de l'argent, avant de mourir. Je suis une victime du sort. Vous pensez bien que je n'aurais pas commis un crime si j'étais dans un état sans danger pour mon entourage. Je ne peux pas rendre la vie à Aïcha mais je veux embrasser mon fils avant de mourir et lui demander de me pardonner et de prier Dieu pour moi.

Il commençait à me faire chier, ce mec, avec ses sentiments paternels et ses exigences. D'abord, il n'avait pas du tout la gueule qu'il fallait pour être mon père, qui devait être un vrai mec, un vrai de vrai, pas une limace. Et puis, si ma mère se défendait aux Halles, et se défendait meme vachement bien, comme il le disait lui-même, personne ne pouvait m'invoquer, comme père, merde. J'étais de père inconnu garanti sur facture, à cause de la loi des grands nombres.

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