— C’est ce que je pensais, dit Tanis. Ses vêtements sont somptueux, mais ils ont connu des jours meilleurs. Tu as eu raison de l’enrôler.
— Je n’ai pas osé le laisser derrière nous, répondit Gilthanas d’une voix tendue. Je sais ce que les autres vont dire, surtout le chevalier. Mais je te jure que je ne suis pas un traître ! Je ne veux qu’une chose : anéantir Verminaar. Si tu avais vu ce que le dragon a fait de nos frères ! Je suis prêt à sacrifier ma vie…
— Et la nôtre ?
— Tanthalas, si tu tiens vraiment à le savoir, ta vie est le cadet de mes soucis ! La survie de mon peuple est mon unique préoccupation. C’est la seule chose à laquelle je tienne.
Ils poursuivirent lentement leur chemin. Quelques instants plus tard, Sturm les rattrapa.
— Tanis, dit le chevalier, le vieil homme avait raison. Quelqu’un nous suit.
8
Les soupçons se précisent. Le Sla-Mori.
Un étroit sentier qui serpentait à travers les arbres amena les compagnons vers les sommets. L’obscurité tomba au moment où ils s’engagèrent entre deux pics. Brusquement, Gilthanas quitta le sentier et disparut dans les taillis.
— Il est fou, murmura Ebène à Tanis, cette vallée est le domaine des trolls ! Par qui crois-tu qu’a été tracé ce chemin ! (L’homme aux cheveux de jais prit Tanis pas le bras avec une désinvolture qui déconcerta le demi-elfe.) Je sais que je suis « le nouveau », et que tu n’as aucune raison de me faire confiance, mais que connais-tu au juste de ce Gilthanas ?
— Je sais que…
Ebène, qui avait de la suite dans les idées, lui coupa la parole :
— Beaucoup d’entre nous sont persuadés que l’armée draconienne ne nous a pas attaqués par hasard, si tu vois ce que je veux dire… Après la destruction de Hautes-Portes, mes hommes et moi nous étions repliés dans les collines pour combattre les reptiloïdes. La semaine dernière, les elfes ont fait leur apparition. Ils nous ont dit qu’ils allaient attaquer la forteresse du seigneur des Dragons, et ils nous ont demandé si nous voulions y participer. « Pourquoi pas ? » avons-nous répondu, toujours prêts à balancer un caillou dans les gencives de ce satané seigneur des Dragons…
« Avec le temps, l’inquiétude nous gagna. On trouvait partout des empreintes de draconiens ! Mais les elfes avaient l’air de s’en moquer. Gilthanas disait que c’étaient d’anciennes empreintes. Une nuit, nous avons bivouaqué et posté des sentinelles. Cela n’a pas servi à grand-chose, car les draconiens ont attaqué. Pendant que nous nous jetions sur nos armes pour repousser les créatures, j’entendis les elfes appeler, comme s’ils étaient égarés. Et qui crois-tu qu’ils appelaient ? »
Ebène fixa Tanis avec intensité. Le demi-elfe fronça les sourcils en hochant la tête, agacé par son air théâtral.
— Gilthanas ! dit Ebène avec emphase. Il était parti ! Je les entendu crier et recrier le nom de leur chef. J’ignore s’il a réapparu. J’ai été fait prisonnier, puis emmené à Solace, d’où je me suis échappé. En tout cas, j’aurais mieux fait d’y regarder à deux fois avant de suivre cet elfe. Il avait sans doute ses raisons d’être absent quand les draconiens ont attaqué, mais…
— Je connais Gilthanas depuis longtemps, coupa Tanis, plus troublé qu’il ne voulait l’admettre.
— Évidemment. Je pensais seulement qu’il fallait que je te le dise, fit Ebène avec un sourire compatissant.
Il tapa sur l’épaule de Tanis et alla s’asseoir à côté de Tika. Le demi-elfe comprit que Caramon et Sturm avaient tout entendu, mais ils gardèrent le silence. Avant que Tanis se décide à leur parler, Gilthanas réapparut entre les arbres.
— Nous ne sommes plus très loin, annonça-t-il. Par là, la végétation est moins dense, l’accès sera plus facile.
Quand les compagnons émergèrent enfin des broussailles, ils se trouvèrent face à une immense paroi de granit. Gilthanas sonda la surface de la roche.
— C’est là, dit-il soudain.
Il plongea la main dans la poche de sa tunique et en sortit un morceau de quartz d’un jaune lumineux. Ses doigts s’arrêtèrent sur une petite niche dans laquelle il déposa le quartz. Décrivant dans les airs une série de signes cabalistiques, il prononça une incantation.
— Très impressionnant, murmura Fizban. Je ne savais pas que nous avions un confrère.
— C’est un amateur, rien de plus, commenta Raistlin, qui observait attentivement Gilthanas.
L’énorme bloc de granit vibra, puis il glissa sans bruit sur le côté. Un courant d’air froid aux relents de moisi fit frissonner les compagnons.
— J’ignore ce qu’il y a à l’intérieur, les prévint Gilthanas, je n’y suis jamais entré. Je connais l’existence de cet endroit par les seuls récits de mon peuple.
— Mais c’est censé être quoi ? demanda Caramon.
— La chambre mortuaire de Kith-Kanan.
— Encore des fantômes ! grogna Flint. Nous n’avons qu’à envoyer le mage en avant pour prévenir de notre arrivée.
— Raistlin, quelle impression te fait cet endroit ?
— Très mauvaise. Il sent le Mal.
— Mais je sens aussi le Bien, déclara Fizban. Là, les elfes ne sont pas tombés dans l’oubli, bien que le Mal soit sur eux.