Raistlin souffrait physiquement, Sturm moralement, mais celui qui pâtissait le plus de la captivité était Tass.
La torture la plus cruelle qu’on pût infliger à un kender était de l’enfermer. La torture, pour les autres, consistait à être avec le kender. Après avoir enduré trois jours ses incessants bavardages, ses frasques et ses plaisanteries, Flint était prêt à l’attacher aux barreaux pour avoir une heure de tranquillité. Lunedor elle-même perdit contenance et faillit le gifler. Tanis envoya le kender en pénitence à l’autre bout de la cage. De sa vie, Tass ne s’était autant ennuyé.
L’arrivée de Fizban avait fourni une heureuse diversion, mais l’intérêt du kender s’était vite dissipé quand Tanis avait exigé qu’il lui restitue ses sacs. Au comble du désespoir, le kender jeta son dévolu sur un nouveau centre d’intérêt : Sestun, un nain des ravins.
Les compagnons le traitaient avec une sorte de pitié amusée. Homme à tout faire des gobelins, le nain des ravins était aussi leur souffre-douleur. En plus des basses besognes, exécutées sous les lazzis, il passait ses nuits à porter des messages. Les draconiens s’amusaient à le jeter par terre plusieurs fois par jour, et les hobgobelins lui volaient ses rations. Même les élans lui donnaient des coups de pieds. Pourtant le nain ne se départait jamais d’une farouche attitude de défi, ce qui lui attira la sympathie des compagnons.
Sestun approcha de la charrette des prisonniers. Les jambes pendant hors de la cage, le nez entre les barreaux, Tass lui fit signe, et entreprit séance tenante de lui raconter une de ses histoires. Derrière eux, les hobgobelins cherchaient un endroit propice pour bivouaquer. Tout en babillant, le kender remarqua sans le laisser paraître que Gilthanas faisait semblant de dormir. L’elfe, qui ne se sentait pas observé, scrutait les alentours comme s’il cherchait quelque chose. L’air dubitatif, Sestun écouta jusqu’au bout l’histoire de Tass.
— Bientôt faire jour ! constata-t-il pour tout commentaire, dans le langage laconique des nains des ravins. Beaucoup à faire.
Le soleil allait se lever sur leur quatrième journée de captivité. Tass entendit le cri d’un oiseau dans le bois. D’autres cris lui firent écho. Le kender trouva ce ramage bien étrange. Mais il ne connaissait rien à ce pays du sud. La caravane avait franchi le Fleuve de Blanche Écume par le seul pont praticable pour se rendre à Pax Tharkas et dans les fameuses mines de Thadarkan. La vieille cité elfe de Qualinost se trouvait quelque part au cœur de cette forêt.
Tout près de lui, le kender entendit de nouveau siffler un oiseau. Il se retourna. Gilthanas, les doigts dans la bouche, avait imité le roucoulis d’un volatile.
— Tanis ! s’écria Tass.
Tout le monde se réveilla.
— Bon, dit Fizban d’une voix ensommeillée, les elfes sont là.
Le bruissement de centaines d’oiseaux s’envolant à tire-d’ailes acheva de tirer les compagnons du sommeil.
Le chariot qui les précédait se renversa. Leur cocher tira sur les rênes pour empêcher l’élan de foncer dans l’obstacle, et réussit à le lui faire contourner. Soudain le cocher poussa un cri et lâcha les rênes. Les compagnons aperçurent la flèche empennée fichée dans sa nuque. Pris sous une nuée de projectiles, les élans s’immobilisèrent. Les compagnons s’aplatirent sur le sol de la cage.
— Que se passe-t-il ? demanda Tanis à Gilthanas.
L’œil braqué sur la forêt, l’elfe cria :
— Porthios !
— Tanis, peux-tu me dire ce qu’il se passe ?
C’était les premiers mots que Sturm prononçait depuis quatre jours.
— Porthios est le frère de Gilthanas. Je pense qu’il vient à son secours !
— Cela ne servira pas à grand-chose s’ils nous massacrent, répliqua Sturm en évitant une flèche. Je croyais que les elfes étaient de bons tireurs !
— Couchez-vous ! ordonna Gilthanas. Ce tir est destiné à couvrir notre fuite. C’est une embuscade pour nous permettre de nous enfuir ; nos gens n’ont pas les moyens d’attaquer. Tenez-vous prêts, il va falloir courir vers le bois, et vite !
— Mais comment sortirons-nous de ces cages ? demanda Sturm.
— Nous ne pouvons pas tout faire ! répliqua froidement Gilthanas. Vous avez des magiciens… !
— Je ne peux rien sans mes accessoires, siffla Raistlin. Baisse-toi, vieillard ! dit-il à Fizban qui avait dressé l’oreille et les regardait d’un air intéressé.
— Je peux peut-être faire quelque chose, dit-il, les yeux brillants. Dites-moi donc…
— Nous attaqués ! cria Sestun en rampant sous le chariot.
Toede arriva au galop.
— Nous sommes attaqués par les elfes ! Ils tentent de libérer les prisonniers ! vociféra-t-il. Nous sommes encerclés ! Je vais faire mon rapport au seigneur Verminaar ! Tout le monde vers le nord ! Vous, les draconiens, occupez-vous des prisonniers !
Il repartit aussi vite.
— Au moins, nous n’aurons pas les gobelins sur le dos ! dit Sturm avec un sourire. Mais il doit rester une trentaine de draconiens, et je ne pense pas que les elfes soient venus par centaines, n’est-ce pas ?
Gilthanas secoua la tête.
— Une vingtaine, tout au plus…