En silence, ils atteignirent le bas de l’escalier. Ils se trouvaient face à un petit couloir qui donnait sur une vaste salle rongée d’humidité. Ils tendirent l’oreille. Le grondement d’une cascade escamotait les autres bruits. Tanis crut percevoir un grincement et des martèlements sur le sol. Puis, plus rien. Un bizarre raclement se fit entendre, ponctué de petits cris perçants. Tanis interrogea Tass du regard. Le kender haussa les épaules.
— Pas la moindre idée de que ça peut être ! Tu veux que j’aille voir ?
— Vas-y !
Plus silencieux qu’une souris sur un tapis moelleux, Tass se glissa jusqu’à la porte en ogive. La grande salle était sûrement un lieu de cérémonie ; ce devait être la crypte des Anciens, selon Raistlin, mais ce n’était plus qu’une ruine… Tass remarqua d’énormes trous entre les dalles dressées comme des pierres tombales. Le mur situé au levant s’était écroulé, laissant libre cours à des nuages de vapeur blanchâtre qui dégageaient une odeur de pourriture. Il distingua une ouverture vers le sud et une autre au nord. Le grincement bizarre venait du côté sud.
Brusquement, le kender sentit le sol vibrer sous ses pieds, et il entendit un martèlement. Il retourna en toute hâte vers l’escalier. Les compagnons, sur le qui-vive, se plaquèrent contre le mur, les armes à la main. Il y eut une grande aspiration d’air et une douzaine de silhouettes passèrent devant la porte en faisant trembler le sol. Ils entendirent quelques râles et des respirations bruyantes, puis les silhouettes disparurent dans la vapeur des buées. Après un dernier grincement, ce fut le silence.
— Par les Abysses ! Qu’est-ce que ça peut bien être ? s’exclama Caramon. Ce n’était pas des draconiens, ou alors une espèce miniature. D’où sont-ils sortis ?
— Du côté nord de la grande salle, répondit Tass. Ils allaient vers le méli-mélo de voix bizarres qui vient du côté sud.
— Qu’y a-t-il à l’est ? demanda Tanis.
— D’après le bruit que j’ai entendu, une chute d’eau qui doit se déverser quarante pieds plus bas. Le sol est plein de trous. Il ne vaut mieux pas s’aventurer par là…
— Je renifle une odeur… bien particulière. Une odeur que je connais, mais que je ne situe pas…
— Ça sent la mort, dit Lunedor, tremblante.
— Bien pire que ça, murmura Flint.
Soudain, il roula de grands yeux et le sang lui monta au visage.
— J’ai trouvé ! Des nains des ravins ! s’exclama-t-il en saisissant sa hache. Ces misérables apparitions, c’était donc ça ! Eh bien ! ils n’en ont plus pour longtemps !
Il se précipita dans le couloir. Tanis, Sturm et Caramon le rattrapèrent par le collet.
— Du calme ! ordonna Tanis. Es-tu bien sûr que ce soit des nains des ravins ?
— Évidemment ! Ils m’ont retenu trois ans prisonnier. C’est pourquoi je ne vous ai pas parlé de ce que j’avais fait pendant ces cinq dernières années. Mais je vais me venger ! Je tuerai chaque nain que je trouverai sur ma route !
— Attends un peu, coupa Sturm. Les nains des ravins ne sont pas méchants, en tout cas, rien de comparable avec les gobelins. Pourquoi vivent-ils ici avec les draconiens ?
— Ils sont esclaves, dit Raistlin. Ils doivent l’être depuis que la cité a été détruite. Il est possible que les draconiens, venus pour défendre les Anneaux, les aient gardés comme main-d’œuvre.
— Ils peuvent nous être utiles…, murmura Tanis.
— Utiles ? Des nains des ravins ? explosa Flint. Tu serais capable de te fier à cette engeance ?
— Non, nous ne pouvons pas nous fier à eux, bien entendu. Mais tout esclave est prêt à trahir son maître, et les nains des ravins, comme les autres nains d’ailleurs, ne sont fidèles qu’à leur chef de clan. Si nous ne leur demandons pas d’exposer leurs vies, ils consentiront peut-être à monnayer leurs services.
— Je préférerais encore m’acoquiner avec un ogre ! dit Flint d’un air dégoûté. Allez-y ! Allez quémander l’assistance de vos nouveaux amis ! Ah ! ils vous aideront, c’est sûr ! Ils vous amèneront directement dans la gueule du dragon !
Tanis et Sturm échangèrent un regard ; le nain pouvait se révéler incroyablement têtu.
— Je ne sais que penser…, soupira Caramon. Si Flint reste ici, qui de nous saura parlementer avec cette racaille ?
Tanis, surpris de la subtile démarche de Caramon, entra dans son jeu :
— Sturm, peut-être… ?
— Sturm ! s’écria Flint. Un chevalier incapable de frapper un ennemi dans le dos ? Il vous faut quelqu’un qui connaisse ces perfides créatures…
— Tu as raison, dit gravement Tanis. Il vaut peut être mieux que tu nous accompagnes.