La voix s’était éteinte. Lunedor entendit le hurlement de Rivebise.
Quand Tanis pénétra dans le temple, une scène de sa vie passée lui revint en mémoire. Laurana, son frère, Gilthanas, et lui étaient assis au bord de la rivière, se partageant entre les jeux d’enfants et les rêves d’avenir. Ces jours heureux n’avaient pas duré longtemps. Tanis s’était vite aperçu qu’il était différent des autres. Le souvenir de ce moment ensoleillé d’amitié enfantine adoucit ses peines.
Il se tourna vers Lunedor, qui se tenait près de lui sans rien dire.
— Quel est cet endroit ?
— Je t’en parlerai plus tard, répondit la barbare.
Ils avancèrent au centre du sanctuaire et s’arrêtèrent devant la statue. Tanis la contempla, bouche bée.
Caramon et Sturm étaient entrés, portant Rivebise sur une civière de fortune. Tass, étonnamment déprimé, et le nain, plus vieux que jamais, montaient la garde de chaque côté. Le capuchon rabattu sur la tête, les mains enfouies dans ses manches, Raistlin fermait la marche. On aurait dit des funérailles.
Ils déposèrent le blessé devant Lunedor.
— Découvrez-le, dit-elle.
Personne n’osa faire un geste.
Brusquement, Raistlin se pencha sur le corps et, d’un coup sec, enleva le manteau étendu sur le barbare.
Lunedor tressaillit en découvrant le corps torturé de Rivebise. Mais en digne représentante de son peuple, elle se ressaisit aussitôt. Elle prit le bâton des mains de la déesse et vint s’agenouiller auprès de Rivebise.
—
D’une main tremblante, elle caressa le front du mourant. Comme s’il voulait la toucher, il leva une main noirâtre, qui retomba aussitôt, sans vie. Il poussa un soupir et resta inerte. En larmes, Lunedor tendit le bâton au-dessus de son corps. Une douce lumière bleue envahit le sanctuaire. Tous se sentirent renaître. Leurs chairs étaient comme lavées des tourments qui les avaient si durement éprouvés. Les images de l’attaque du dragon s’évanouirent de leur esprit. Puis la lumière du bâton s’estompa. L’obscurité gagna le temple, que seule la statue de la déesse éclairait.
Une voix grave s’éleva dans la pénombre du sanctuaire :
—
Lunedor poussa un cri d’allégresse. Son bien-aimé tendit les bras vers elle. Elle referma les siens sur lui et l’étreignit, pleurant et riant de joie.
— … Donc, dit Lunedor pour conclure son récit, il faut trouver un moyen de pénétrer dans la cité détruite, sous le temple, pour reprendre les Anneaux que le dragon garde dans son repaire.
Les compagnons s’assirent sur les dalles du sanctuaire pour prendre un peu de nourriture. Ils avaient fait le tour des lieux sans repérer personne. Caramon disait avoir découvert un escalier qui menait à la cité détruite. Le bruit étouffé du ressac leur rappela qu’ils se trouvaient au sommet d’une falaise surplombant le Nouvel Océan.
Les compagnons s’étaient tus. Chacun s’abandonnait à ses pensées.
— Nous devrions dormir, suggéra Sturm. Je prendrai le premier tour de garde.
— Inutile de monter la garde cette nuit, dit doucement Lunedor, assise près de Rivebise, en regardant la statue.
Le barbare avait à peine ouvert la bouche depuis qu’il était revenu à la vie. Il avait longuement contemplé la statue de Mishakal, reconnaissant en elle la femme qui lui avait donné le bâton. Mais il n’avait pas répondu aux questions de ses compagnons.
— Je crois que Lunedor a raison, dit Tass. Faisons confiance aux anciens dieux, maintenant que nous les avons retrouvés.
— Les elfes ne les ont jamais perdus, les nains non plus, protesta Flint. Je ne comprends rien à tout ça ! Reorx est un ancien dieu. Nous l’adorions bien avant le Cataclysme !
— L’adorer ? Dis plutôt se plaindre à lui que ton peuple soit terré dans le Royaume sous la Montagne ! Ne raconte pas de bêtises, Flint !
Voyant le nain virer à l’écarlate, Tanis leva une main pour l’apaiser.