Tanis regarda le bâton au cristal que Lunedor tenait à la main. Un banal bâton de bois, comme tant d’autres. À une extrémité était gravée une devise, entourée des plumes d’oiseaux qu’affectionnent les barbares. Il l’avait vu s’illuminer ! Il avait fait l’expérience de ses pouvoirs de guérison. Était-ce un cadeau des anciens dieux, qui leur tendaient la main en ces temps troublés ? Était-ce le démon ? D’ailleurs, que savait-il de ces barbares ? Tanis se souvint de ce qu’avait déclaré Raistlin. Le bâton ne devait être touché que par une personne au cœur pur. Il aurait aimé y croire…
Les trois compagnons s’étaient laissés distancer par Sturm et Caramon. Ils coururent les rejoindre.
— Notre éclaireur est de retour, dit Sturm sèchement.
Par trois fois, Tass agita les bras.
— Cachons-nous dans les buissons ! ordonna Tanis.
Tous s’exécutèrent, sauf Sturm, qui resta à la lisière du bois.
— Je ne vais pas me terrer dans les broussailles comme un lapin ! dit-il en se dégageant de Tanis qui voulait l’entraîner avec lui.
Le demi-elfe ravala les mots qu’il avait sur les lèvres, qui auraient causé d’irréparables dégâts, et attendit Tasslehoff.
— Des prêtres ! haleta le kender. Il y a en huit ! Ils ont un chariot !
— Je m’attendais à un bataillon de gobelins, pour le moins ! Je pense que nous sommes de taille à tenir tête à un groupe de prêtres.
— Je n’en sais rien, dit Tass, je n’ai jamais vu pareils prêtres en Krynn. Tanis, te souviens-tu de ce qu’a dit Tika ? Des gens bizarres de l’entourage de Hederick ? Avec des houppelandes à capuche ? Ceux-là correspondent exactement à ce qu’elle a décrit. Ils me font une impression bizarre, dit-il en frissonnant. Dans quelques instants, ils seront en vue.
Tanis jeta un coup d’œil à Sturm. Tous savaient que le kender n’était pas sensible à la peur, mais excessivement réceptif au rayonnement des créatures. Tanis ne se souvenait pas avoir vu Tass dans cet état, même dans les situations les plus périlleuses.
— Les voilà, dit Tanis en se réfugiant sous la ramure avec le chevalier et le kender. Sturm, tu pourrais peut-être leur parler. Il faudrait que nous sachions où mène cette route. Sois prudent, mon ami.
— Je le serai, car je n’ai pas l’intention de risquer ma vie pour rien.
— Ce sont des prêtres ! dit Raistlin. Je n’aime pas çà.
— Que veux-tu dire ? demanda Tanis.
— Qu’ils sont vraiment étranges, expliqua patiemment Raistlin, comme s’il s’adressait à un demeuré. Le bâton possède des vertus curatives, tout comme les prêtres ont le pouvoir de guérir, ce qu’on n’a plus vu en Krynn depuis le Cataclysme ! À Solace, Caramon et moi avons aperçu ces hommes encapuchonnés. Ne trouves-tu pas étrange, mon ami, que ces prêtres et ce bâton apparaissent en même temps au même endroit, alors qu’on ne les avait jamais vus ? Le bâton leur appartient peut-être vraiment.
Lunedor semblait soucieuse. Elle aussi s’étonnait de ces coïncidences.
Les compagnons ne soufflèrent mot. Une pluie serrée commença à tomber, tambourinant sur le feuillage.
Tanis regardait la route. Lui non plus n’avait jamais rencontré des prêtres comme ceux-là pendant les cent ans passés en Krynn. Ils mesuraient bien six pieds de haut. Leurs mains et leurs pieds étaient couverts de bandelettes comme ceux des lépreux. Quand ils arrivèrent à hauteur de Sturm, ils jetèrent de furtifs coups d’œil alentour. À travers les fentes de ses bandelettes, l’un d’eux scruta les buissons.
— Salut, Chevalier Solamnique, dit-il dans la langue commune.
Sa voix, à la fois caverneuse et zézayante, sonnait autrement qu’un timbre humain.
— Salut, frères, répondit Sturm. J’ai parcouru un bon bout de chemin aujourd’hui, et vous êtes les premiers voyageurs que je rencontre. Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent, et je voudrais savoir comment continuer ma route. D’où venez-vous ?
— À l’origine, nous venons de l’est. Mais aujourd’hui, nous sommes partis de Haven. La journée est bien maussade pour voyager, et c’est sans doute pourquoi tu n’as rencontré personne. Nous avons pris la route parce que nous y étions obligés. Nous ne t’avons pas vu en chemin. Tu dois donc venir de Solace, messire chevalier.
Sturm opina du chef. Les prêtres se regardèrent en murmurant. Leur chef leur parla en une langue bizarre, gutturale. Tanis échangea un coup d’œil avec ses compagnons. Personne ne connaissait cet idiome. Le chef des prêtres reprit en langue commune :
— Je serais curieux de savoir ce qu’on raconte, chevalier.
— Il y aurait des armées rassemblées au nord du pays, répondit Sturm. Je suis en route pour la Solamnie, mon pays. Je n’ai aucune envie de me trouver mêlé à une guerre qui n’est pas la mienne, et à laquelle personne ne m’a
— Ces rumeurs ne sont pas parvenues jusqu’à nous, répondit le prêtre. Autant que je sache, la route du nord est libre.
— Ça m’apprendra à écouter les ivrognes, dit Sturm en haussant les épaules. Mais quelle impérieuse nécessité vous contraint à sortir par un temps pareil, mes frères ?