Mais le bref répit suffit à Caramon. De ses mains immenses, il empoigna les têtes reptiliennes et les choqua l’une contre l’autre. Les corps tombèrent sur le sol comme des statues. Deux autres monstres émergèrent du chariot, brandissant des épées courbes dans leurs mains bandées.
— Place-toi derrière moi, ordonna Raistlin.
Caramon ramassa ses armes et, à regret, recula derrière son frère.
Raistlin fixa intensément les deux monstres qui, reconnaissant un magicien, hésitèrent à approcher. L’un se réfugia sous le chariot, l’autre se rua sur lui l'épée en avant avec l’intention d’interrompre le sort. Caramon poussa un cri d’alarme, mais son frère n’entendait déjà plus. Il leva les bras, joignit les pouces et déploya les doigts en éventail.
—
L’injonction prononcée par le frêle magicien agit sur la créature, qui s’embrasa.
Grâce au hurlement de Sturm, Tanis avait repris ses esprits. Il fendit les broussailles et fit irruption sur le chemin. Du plat de l’épée, il frappa l’agresseur de Sturm, qui s’effondra avec un cri. Puis il tira le chevalier dans les buissons.
— Mon épée, marmonna Sturm, aveuglé par le sang qui lui coulait sur le visage.
— Nous la reprendrons, dit Tanis en se demandant comment. (Il se tourna vers Flint et Tasslehoff qui étaient accourus :) Restez près de Sturm. Je vais essayer de rassembler tout le monde. Nous allons nous replier dans les bois.
À peine parvenu sur le chemin, des flammes s’élevèrent, l’obligeant à se plaquer au sol. L’incantation de Raistlin avait fait son œuvre. De la fumée montait du chariot ; la paillasse du malade avait pris feu.
— Reste ici et veille sur Sturm ! grogna Flint en prenant sa hache.
Pour l’instant, les créatures ne semblaient pas soupçonner la présence du chevalier, du nain et du kender dans les fourrés. Mais Flint savait que cela ne saurait tarder.
— Occupe-toi de lui, lança-t-il à Tass avec irritation. Rends-toi utile, pour une fois !
— Je fais de mon mieux, mais je n’arrive pas à arrêter le sang, dit le kender en essuyant le visage du chevalier. Alors, vois-tu quelque chose à présent ?
— Mon épée…, souffla Sturm en laissant retomber la tête.
Tass la chercha des yeux ; il la découvrit plantée dans le corps pétrifié du prêtre.
— Génial ! s’exclama le kender, émerveillé. Regarde, Flint, là voilà, l’épée de Sturm !
— Je sais, crétin !
— Je vais la chercher ! annonça joyeusement Tass. Je ne serai pas long.
Une créature se dirigea vers eux, l’épée brandie.
— Arrête ! cria Flint, réalisant que le nouvel assaillant n’était pas dans le champ de vision du kender.
De son épée courbe, la créature visa la gorge de Tass. Flint fit tournoyer sa hache au moment où celui-ci se releva. Le bâton à grelots du kender vint frapper Flint aux jambes ; il tomba à genoux. L’épée de la créature frôla la tête du nain, qui bascula sur Sturm en poussant des cris d’orfraie.
Alerté par ce vacarme, Tass se retourna. Le spectacle était affligeant. Flint, assailli par un prêtre, gisait sur le dos, les jambes en l’air, alors qu’il aurait dû se battre.
— Mais qu’est-ce que tu fabriques, Flint ? cria Tass.
D’un revers de bâton, il fit tomber la créature. Un deuxième coup sur la tête l’acheva...
— Alors ! dit-il, furieux. Dois-je me battre à ta place ?
Le kender marcha résolument vers l’épée de Sturm.
— « Se battre à ma place ! » Ce qu’il faut entendre !
Tanis trouva Lunedor et Rivebise dos à dos, tenant les créatures à distance grâce au bâton. Trois corps pétrifiés gisaient à leurs pieds. Le barbare bandait son arc la seule arme qu’il lui restât. Les créatures échangèrent des paroles incompréhensibles, sans doute sur la stratégie à adopter. Prévoyant qu’ils allaient passer à l’assaut pour maîtriser les deux barbares, Tanis attaqua par-derrière. Pour faucher l’adversaire, il se servit du plat de son épée comme d’une massue.
— Filez, cria-t-il aux barbares. Vite, par là !
Rivebise prit Lunedor par la main et tous deux bondirent vers Tanis par-dessus les corps pétrifiés.
— Tiens, prends ce poignard, dit le demi-elfe à Rivebise.
L’homme des plaines le saisit, le retourna et, de sa garde, frappa un assaillant avec une telle violence qu’il lui brisa la nuque. Lunedor, qui jouait toujours de son bâton pour se défendre, fit jaillir la lumière bleue en terrassant l’autre créature.
Ils filèrent dans le sous-bois.
Tanis scruta la route à travers le rideau de fumée. Soudain, son cœur bondit dans sa poitrine : des silhouettes aux grandes ailes noires s’étaient posées au bord du chemin. Ils étaient pris au piège, à moins de s’échapper par les bois.
Tanis rejoignit Sturm, entouré de Flint et des deux barbares.
— Où sont les autres ? Caramon, Raistlin ? Tass ? Je lui avais recommandé de ne pas bouger d’ici.
— Le satané kender a failli me tuer ! explosa Flint. J’espère qu’ils l’ont emporté et qu’ils en feront de la soupe pour les cochons !
Tanis avança dans les nuages de fumée. Il buta sur Tass, qui traînait l’épée de Sturm.
— Comment es-tu arrivé à la sortir du cadavre ?
— Le corps est tombé en poussière. Je…