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Dans le noir, alors que la pluie huileuse tombait à torrent des toits et dévalait les gouttières, je marchais dans une ruelle déserte avec un bidon d’alcool méthylique à l’intérieur d’un sac en plastique. J’avais dans la poche droite une boîte d’allumettes, elle aussi enveloppée de plastique, et au cas où, un briquet à gaz certifié waterproof par le vendeur.

J’avais dix-huit ans. J’étais venu en bus de la banlieue où je vivais avec mes parents, en prenant trois correspondances. Le dernier bus ne contenait que deux ou trois travailleurs de nuit à la mine renfrognée et j’ai espéré avoir moi aussi l’air d’un malheureux ouvrier trempé payé au salaire minimum. Le bus a tourné et viré dans une zone industrielle aussi sinistre qu’une prison. Je suis descendu et resté un moment sous le panneau de l’arrêt de bus, seul. Le bus a lourdement tourné au coin en crachant des vapeurs de diesel. La rue était à présent déserte. L’entrepôt qui abritait les activités criminelles de mon père se trouvait deux intersections plus loin.

Je ne savais pas grand-chose des affaires de mon père, à part qu’elles provoquaient des disputes entre mes parents d’aussi loin que je m’en souvienne. J’avais passé une partie de mon enfance à Istanbul, où nous avions vécu six ans – d’où ce surnom de Turk pour mes amis. À Istanbul comme à Houston, nous résidions dans un quartier agréable et mon père travaillait dans des parties moins reluisantes de la ville. Ma mère, originaire d’une famille baptiste louisianaise, ne s’était jamais habituée aux mosquées, aux burqas…, même si Istanbul était cosmopolite et que nous habitions un secteur occidentalisé. J’ai cru un temps que c’était pour cette raison qu’ils se disputaient si souvent. Mais ils ont continué après notre retour aux États-Unis, et même s’ils s’efforçaient de me le cacher, j’ai fini par comprendre que ce n’était pas les longues heures de mon père ou ses intermèdes à l’étranger qui contrariaient ma mère, mais la nature même de son travail.

Elle exprimait sa honte et sa gêne par de petites choses. Elle ne décrochait le téléphone que quand elle reconnaissait le numéro appelant. Nous rendions rarement visite à sa famille ou à celle de mon père, qui venaient rarement nous voir. Au fil des ans, ma mère est devenue silencieuse, maussade, renfermée. Arrivé à l’adolescence, j’ai commencé à passer davantage de temps à l’extérieur… le plus de temps possible. La rue valait mieux que ces rideaux tirés et ces conversations à voix basse.

C’était peut-être moins pire que j’en donne l’impression. Nous menions une vie au moins superficiellement confortable. Nous avions de l’argent et j’allais dans une école correcte. Si occultes que soient les affaires de mon père, il les menait avec succès. J’ai surpris des discussions animées au téléphone durant lesquelles il finissait toujours par avoir le dessus. Des hommes en costume impeccable passaient parfois lui rendre visite et s’adressaient à lui à voix basse et respectueuse. Il m’était arrivé de me demander si mon père n’était pas un criminel, mais l’idée semblait ridicule à première vue. J’ai imaginé qu’il évoluait peut-être en marge d’une loi d’importance secondaire, par exemple en s’occupant d’évasion fiscale sur les droits de douane, mais j’avais appris par la télévision et l’Internet qu’un tel comportement pouvait être sympathique, voire héroïque, sous le bon éclairage. Les années du Spin nous avaient enseigné que quand les règles s’effondraient, c’était chacun pour soi, et à cette époque, on faisait ce qu’on avait à faire pour nourrir et protéger sa famille.

J’aimais mon père. C’est ce que je me disais, et je le croyais. Je ne me suis heurté que plus tard à son mépris pour la morale traditionnelle, à son besoin pathologique qu’on lui obéisse.

Les flots de pluie fournissaient une couverture bienvenue. L’entreprise de mon père occupait un bâtiment pré-Spin, une construction du XXe siècle avec des murs de brique et des fenêtres à petits carreaux en hauteur. Elle donnait sur cette rue triste, mais le véritable travail se déroulait à l’arrière, sur les quais de chargement. Malgré les objections de ma mère, mon père m’avait emmené deux fois faire une visite expurgée de l’entrepôt – sans doute espérait-il que je travaille un jour dans son entreprise. J’étais de plus venu l’avant-veille reconnaître les lieux et mettre un plan au point. J’ai pris un raccourci par un passage étroit entre deux bâtiments pour arriver à l’arrière. Longtemps auparavant, une voie de chemin de fer desservait ces entrepôts. On avait depuis recouvert les rails, mais l’asphalte se fracturait par endroits et la lumière orange cendré des réverbères se reflétait alors sur le vieil acier. La pluie tombait fort, mais j’entendais le liquide inflammable clapoter à l’intérieur du bidon que je transportais.

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