Comme pour confirmer ses dires, l’appareil a viré brusquement. Treya a jeté un coup d’œil nerveux par la fenêtre. Un éclat de lumière blanche a masqué les étoiles et illuminé les vagues en dessous. Je me suis redressé pour mieux voir et, au moment où cette lumière disparaissait, j’ai cru apercevoir sur l’horizon une espèce de continent lointain ou (car c’était presque géométriquement plat) un énorme navire. Qu’ont ensuite englouti les ténèbres.
« Restez allongé », a dit Treya. Le virage de l’appareil s’est encore accentué. Treya s’est réfugiée dans un siège fixé à la paroi la plus proche. De la lumière a une nouvelle fois jailli par la fenêtre. « Nous sommes hors de portée de leurs navires, mais leurs avions… Il nous a fallu du temps pour vous trouver. Les autres devraient être en sécurité, à présent. La cabine vous protégera si notre véhicule est endommagé, mais il faut que vous vous allongiez. »
C’est arrivé presque avant qu’elle finisse sa phrase.
Notre formation comptait cinq appareils (ai-je appris ensuite). Nous étions les derniers à sortir du désert. L’attaque est arrivée plus vite et plus fort que prévu : nos quatre avions d’escorte sont tombés en nous protégeant et nous nous sommes retrouvés sans défense.
Je me souviens de Treya me prenant la main. J’ai voulu lui demander de quel genre de guerre il s’agissait, et ce qu’elle voulait dire par « les autres ». Mais je n’en ai pas eu le temps. Elle me serrait farouchement les doigts dans sa paume glacée. Il y a alors eu une chaleur soudaine, une lumière aveuglante, et nous nous sommes mis à tomber.
4
Des manœuvres d’urgence préprogrammées et une part de hasard ont conduit notre fragment d’appareil jusqu’à la plus proche île de Vox.
Vox était un vaisseau maritime – un
Treya ne pensait pas qu’ils pourraient y arriver. Mais la dernière attaque avait été très dure et fait entre autres victimes l’appareil à bord duquel nous voyagions.
Nous avons survécu grâce aux mécanismes de protection perfectionnés équipant le compartiment dans lequel Treya s’occupait de moi : des aérogels ont amorti la décélération catastrophique et des surfaces portantes se sont déployées pour nous faire planer jusqu’à un endroit où nous pourrions nous poser : l’une des îles périphériques de l’archipel Vox, désormais inhabitée et loin de la grande ville que Treya appelait Centre-Vox.
Celle-ci, le « moyeu » de l’archipel, avait constitué la cible principale de l’attaque. À la lumière de l’aube, nous avons vu une colonne de fumée monter derrière l’horizon, du côté du vent. « Là, a dit Treya d’une voix traumatisée. Cette fumée… Elle doit venir de Centre-Vox. »
Nous avons abandonné la chaloupe fumante pour nous avancer dans un pré. Le soleil se détachait de l’horizon. « Le Réseau est muet », a dit Treya. Je n’ai pas compris ni de quoi elle parlait, ni comment elle le savait. Elle avait le visage raide de chagrin. Le reste de l’appareil avait dû tomber dans l’océan. Et à part nous, tous ses passagers étaient morts. J’ai demandé à Treya comment il se faisait que nous ayons été choisis pour survivre.
« Pas
— Pourquoi moi ?
— Nous vous avons attendu pendant des siècles. Vous et les autres comme vous. »
Je n’ai pas compris. Mais comme elle était sous le choc et contusionnée sur tout le corps, je n’ai pas insisté. Les secours arriveraient, d’après elle. Ses concitoyens nous trouveraient. Ils nous enverraient un avion, même si Centre-Vox avait été endommagé. On ne nous abandonnerait pas en pleine nature.
Ce sur quoi elle se trompait, en fin de compte.