La femme en jaune a plaqué un tube métallique au bout arrondi sur mon avant-bras, puis sur ma cage thoracique, et j’ai senti mon angoisse s’atténuer. J’ai deviné que je venais d’être drogué, mais cela ne me dérangeait pas vraiment. Ma soif s’était volatilisée. « Vous pouvez me dire votre nom ? » a demandé la femme.
J’ai répondu d’une voix rauque que j’étais Turk Findley, américain de naissance, mais vivant depuis quelque temps sur Équatoria. Je lui ai demandé qui elle était et d’où elle venait. Elle a souri. « Je m’appelle Treya et je viens d’un endroit appelé Vox.
— C’est là qu’on va ?
— Oui. Ça ne prendra pas longtemps. Essayez de dormir, si vous pouvez. »
J’ai donc fermé les yeux pour m’efforcer de faire un état des lieux personnel.
Turk Findley, né durant les dernières années du Spin. J’ai entre autres été manœuvre, marin et pilote de petit avion. J’ai franchi l’Arc pour gagner Équatoria à bord d’un pétrolier avant de vivre quelques années à Port Magellan. J’ai rencontré une femme nommée Lise Adams qui cherchait son père, et sa quête nous a conduits au milieu d’amateurs d’expériences avec les drogues martiennes… puis au fond des champs pétrolifères du désert d’Équatoria à un moment où des cendres commençaient à tomber du ciel et des trucs bizarres à pousser sur le sol. J’aimais assez Lise Adams pour comprendre que je ne lui faisais aucun bien. Nous avions été séparés dans le désert… et c’était à ce moment-là, me semblait-il, que les Hypothétiques m’avaient pris. Ils m’avaient pris et emporté comme une vague entraîne un grain de sable. Pour me lâcher sur cette plage, ce haut-fond, cette barre, dix mille ans en aval.
C’était mon passé, pour ce que je pouvais en reconstruire.
Quand j’ai repris connaissance, je me trouvais dans une cabine plus petite et moins impersonnelle de l’avion. Assise à mon chevet, Treya, ma gardienne ou ma docteur (je ne savais pas trop), fredonnait une mélodie dans une tonalité mineure. Quelqu’un, peut-être elle, m’avait habillé d’un pantalon et d’une tunique simple.
La nuit était tombée. Une étroite fenêtre sur ma gauche m’a montré quelques étoiles éparpillées qui tournaient comme des points sur une roue chaque fois que l’appareil virait. La petite lune d’Équatoria gisait sur l’horizon (je me trouvais donc toujours sur Équatoria, qui pouvait malgré tout avoir beaucoup changé). Tout en bas, des vagues surmontées de blanc luisaient de phosphorescence. Nous survolions la mer, loin du continent.
« Qu’est-ce que vous chantez ? » ai-je demandé.
Treya a légèrement sursauté, surprise de me trouver éveillé. Elle était jeune – vingt ou vingt-cinq ans, ai-je estimé. Elle avait le regard attentif mais prudent, comme si je l’effrayais un peu. La question l’a toutefois fait sourire. « Rien qu’une chanson… »
Une mélodie familière. L’une de ces lamentations au tempo de valse si populaires à la suite du Spin. « Ça m’en rappelle une que je connaissais. Elle s’appelait…
— “Après nous”. »
Exactement. Je l’avais entendue dans un bar au Venezuela quand j’étais jeune et seul au monde. Elle n’était pas mauvaise, mais je ne voyais pas comment elle avait pu survivre pendant cent siècles. « Comment la connaissez-vous ?
— Eh bien, ce n’est pas facile à expliquer. D’une certaine manière, j’ai grandi avec.
— Vraiment ? Mais vous avez quel âge, au juste ? »
Un autre sourire. « Je suis moins vieille que vous, Turk Findley. Mais j’ai des souvenirs. C’est pour ça qu’on m’a chargée de m’occuper de vous. Je suis non seulement votre infirmière, mais aussi votre interprète, votre guide.
— Dans ce cas, vous pouvez peut-être m’expliquer…
— Je peux vous expliquer beaucoup de choses, mais pas pour le moment. Il faut que vous vous reposiez. Je peux vous donner de quoi dormir.
— Mais
— C’était l’impression que vous aviez en étant avec les Hypothétiques… l’impression de dormir ? »
La question m’a fait tressaillir. Je savais que, d’une certaine manière, j’avais été « avec les Hypothétiques », mais je n’en gardais aucun souvenir véritable. Treya semblait en savoir davantage que moi à ce sujet.
« La mémoire va peut-être vous revenir, a-t-elle déclaré.
— Vous voulez bien me dire ce que nous fuyons ? »
Elle a froncé les sourcils. « Je ne comprends pas.
— Vous semblez tous très pressés de sortir du désert.
— Eh bien… ce monde a changé depuis que vous avez été enlevé. Il y a eu plusieurs guerres. La planète a perdu une très grande partie de sa population et ne l’a jamais vraiment récupérée. D’une certaine manière, il y a