— ?????? ! ! ! ! ! lui réponds-je, car j'ai lu Alphonse Allais.
— Me v'là dans de beaux draps, poursuit Jeannot.
— Les siens sont encore moins propres, m'offusqué-je. Il vivait comment, le masseur?
— En bohème — soûlot. Il créchait au petit bonheur la chance, dans des hôtels miteux. Sa grande période c'était au moment du Tour et des grandes classiques. Chaque début de saison c'était la croix et la bannière pour lui refout' la main dessus ! Mais nous autres, directeurs sportifs, on se battait pour l'avoir.
— Où l'avez-vous déniché cette année?
Il a un sourire triste, le premier depuis qu'il a appris la mort de son masseur.
— Dans une clinique où il se faisait désintoxiquer. Je n'en revenais pas. Il y était entré depuis huit jours et le toubib ne voulait rien chiquer pour le laisser partir en pleine cure. C'est moi qui ai incité ce pauvre Hans à se tirer. Il aimait tellement son turbin que ça n'a pas été difficult. On peut dire qu'il s'est pratiquement sauvé de la clinique.
— Le nom de cet établissement?
Jeannot enfile un slip ravaudé jusqu'à la mue.
— La Maison de Repos du docteur Brindezingue, à Neuilly.
Je connais de réputation. Cette taule passe pour être l'une des plus coûteuses de la région parisienne. J'émets un léger sifflement.
— Voilà qui me laisse un arrière-goût d'incompréhension, fais-je. Comment ce traîne-patin de Brocation a-t-il pu s'offrir une cure dans cette maison de grand luxe? Il avait réussi un beau tiercé ou quoi?
— Ça m'a surpris aussi, révèle Jeannot. Je lui ai posé la question et il m'a répondu que ce traitement lui était offert par des amis à lui, soucieux de sa petite santé.
C'est tout ce que l'ancienne gloire de la pédale peut nous révéler, convenons que ça n'est déjà pas si mal.
Nous prenons congé de Méhunraillon pour aller tenir, mes collègues et moi-même, un conseil de guerre dans le couloir. Ils ne font pas de cadeau, les Bourguignons, comme dirait Jehanne Hachette (pas celle des messageries, l'autre).
— On va fouiller toutes les chambres pour si on trouverait le revolver, décident-ils. Et puis faire le test de la paraffine à tous les clients pour voir s'ils se seraient servis d'un pétard.
Allons, voilà qui va faire plaisir au pauvre taulier.
Je les laisse investiguer seuls parce que j'ai grande envie de bavarder un chouïa avec La Meringue.
Il y a un groupe de pégreleux sur la place du Colonel-Factieux-de-la-Derniaireur[3]. Ces quidames et ces quimessieurs cernent le camion des biscuits Vaporetto : un vingt tonnes semi-remorque représentant un biscuit gaufré fourré chocolat.
Je m'approche. Un vacarme appréciable monte du véhicule. Il chancelle sur ses amortisseurs, danse, tangue, roule, chavire, trépide, tressaille, tressaute, trezaladouzaine, frémit, tohu-bohuze, palpite, se balance, s'accordéone, se débiscuite. A croire qu'il héberge un troupeau d'éléphants en délire. A l'intérieur, la radio marche à pleine vibure, fougnazant à tous les échos (chacun paie le sien) une merveilleuse chanson nouvelle, vociférée à la scène comme à la ville par Teddy Robert's (plus connu de l'État Civil sous l'appellation contrôlée de Joseph Dupied). Les paroles de cette scie circulaire sont si nobles, si belles, si profondes, si exaltantes, si évocatrices, si sensuelles, si déterminantes que je me dois de les reproduire ici,
Vous répétez onze fois de suite, sans changer de ton, vous ajoutez deux doigts de sanglot, un zeste d'orgasme, une cuillerée de soupir et vous laissez cuire trois minutes dans le four de votre électrophone. Si au bout de ce délai vous n'obtenez pas le grand succès, vous recommencez l'opération, mais en chantant cette fois dans un verre de lampe.
Les clameurs pâmées, pommées, primées de Teddy Robert's ne suffisant pas à couvrir le tohu-bohu sévissant à l'intérieur du camion. La Meringue se voit dans l'obligation d'adjoindre au poste son propre organe. Il chante à pleins poumons
Les insomniaques réveillent les somniaques. La population dijonnaise se pyjamase, se robe-de-chambre, se pantalonne, se pantoufle, se cachenèze vite fait pour venir assister à l'aubade nocturne. La Meringue possède une voix de canalisation, elle est épaisse, mais on sent qu'elle vient de loin, de profond et qu'il y a de la pression.